Nouvelle-Calédonie : lancement d’un inventaire de la « biodiversité négligée »
Nouvelle-Calédonie : lancement d’un inventaire de la « biodiversité négligée »
Par Yann Chavance
L’archipel accueille une vaste campagne d’étude de la biodiversité terrestre, des rivières aux forêts les plus isolées de l’île, sur un territoire marqué par un taux d’endémisme comptant parmi les plus élevés de la planète.
MUSEE NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE
Forêts denses, rivières reculées, sommets montagneux… Aucun milieu ne devrait échapper aux filets des naturalistes. Durant le mois de novembre, les espaces naturels de Nouvelle-Calédonie vont être passés au crible par une trentaine de scientifiques – spécialistes des grillons, des crustacés, ou encore des micro-algues – à travers deux campagnes conjointes, l’une forestière, l’autre centrée sur les eaux douces.
Cet inventaire de la biodiversité s’inscrit dans le vaste programme « La Planète Revisitée », mené depuis dix ans par le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) et l’ONG Pro-Natura International. Après le Vanuatu, le Mozambique, Madagascar, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Guyane, le programme se tourne donc vers la Nouvelle-Calédonie, avec un budget total dépassant le million d’euros, provenant essentiellement des collectivités locales.
Sur cette grande île du Pacifique, comme lors des précédentes expéditions, l’objectif reste le même : laisser de côté les grands vertébrés, mammifères, oiseaux et poissons, pour concentrer les efforts de recherche sur la biodiversité « négligée », les plus petits organismes. « Les invertébrés, qu’ils soient terrestres ou marins, font partie de ces grands groupes méconnus, rappelle Olivier Pascal, qui pilote le volet forestier pour Pro-Natura. Malgré les institutions de recherches présentes depuis longtemps en Nouvelle-Calédonie, ici comme ailleurs dans le monde, il y a toujours les mêmes lacunes sur la petite faune. »
Terre et mer
Ainsi, mis à part la présence de quelques botanistes, de spécialistes des reptiles, mollusques ou micro-organismes, la grande majorité des naturalistes présents durant ces quatre semaines de terrain travailleront sur les insectes, chacun selon sa spécialité (criquets, blattes, coléoptères, guêpes, etc.). Mais si ce mois de novembre accueillera des équipes évoluant exclusivement à terre, les invertébrés marins n’ont pas pour autant été oubliés.
La Nouvelle-Calédonie étant réputée mondialement pour la richesse et la beauté de ses fonds marins, il était impensable pour les scientifiques du programme de laisser de côté ce milieu lors de l’inventaire de la biodiversité calédonienne. Du 9 au 30 août dernier, le navire océanographique Alis a ainsi sillonné les fonds autour de l’île des Pins, à la pointe sud de la Nouvelle-Calédonie, pour collecter, trier et identifier la petite faune vivant entre 100 et 800 mètres de profondeur.
« La particularité de cette mission a été de disposer d’un bateau, mais aussi d’un petit atelier de tri à terre, décrit Philippe Bouchet, qui a coordonné ce volet marin. Le bateau quittait le rivage à l’aube et revenait dans l’après-midi pour apporter des échantillons frais, ce qui nous a permis d’étudier vivant des spécimens de petite taille. »
MUSEE NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE
Pour ce volet marin, comme pour les précédentes missions terrestres menées à travers le monde, les efforts de collecte se concentraient sur une zone bien précise. Mais pour les volets terrestres, les caractéristiques de la Nouvelle-Calédonie ont poussé les scientifiques à repenser leurs protocoles de recherche. « En Guyane par exemple, nous avions tout misé sur un unique site, s’agissant de forêts continentales pour lesquelles la répartition de la biodiversité est assez homogène », explique Olivier Pascal. « En Nouvelle-Calédonie, les espèces sont segmentées, il faut donc se déplacer pour couvrir le maximum de terrain. Cette notion de mouvement et de multi-sites, c’est la marque de cette expédition ».
Un paradis de l’endémisme
Ainsi, le module forestier permettra d’échantillonner, ces prochaines semaines, trois sites dans l’une des zones les plus reculées de l’île, la « côte oubliée », une vaste étendue forestière à flanc de montagne exempte, de toute route ou village. Le module « Eaux douces » enverra quant à lui de petites équipes explorer les rivières, mares, sources et étangs sur l’ensemble de l’île.
Ce quadrillage du territoire prend tout son intérêt en Nouvelle-Calédonie, de par la nature même de la biodiversité, sur cette île isolée depuis des dizaines de millions d’années. « La Nouvelle-Calédonie a attiré les botanistes depuis le milieu du 19ème siècle par sa richesse, sa diversité, mais surtout son niveau d’endémisme », décrit Philippe Bouchet, professeur au MNHN, également coordinateur du module « Eaux douces ». Ainsi, 80 % des plantes de Nouvelle-Calédonie sont par exemple endémiques, en d’autres termes, vivant uniquement sur ce territoire et nulle part ailleurs.
Mais cette spécificité ne s’arrête pas là. « La grande nouveauté des dernières décennies, c’est la prise en compte du micro-endémisme », reprend Philippe Bouchet. « En réalité, de nombreuses espèces ne sont pas seulement endémiques de Nouvelle-Calédonie, mais endémiques de telle vallée, de telle rivière ou de telle montagne. » Ainsi, en multipliant les zones étudiées, les chercheurs espèrent augmenter le nombre d’espèces découvertes, certaines vivant exclusivement dans un territoire réduit bien précis, et pouvoir comparer les taux d’endémisme d’une zone à l’autre.
Métagénomique
Pour le module forestier, qui se concentrera principalement sur les insectes, les comparaisons inter-sites seront possibles grâce à un type de séquençage génétique émergeant : la métagénomique. Plutôt que d’étudier le génome – la « carte d’identité » génétique – d’un individu ou d’une espèce, la métagénomique permet de séquencer l’intégralité des génomes d’un groupe d’espèces. Ici, en l’occurrence, tous les insectes collectés dans une zone via un protocole standardisé. Malgré les incertitudes (jusqu’alors, ce procédé a été utilisé principalement sur des micro-organismes), le profil génétique de la population locale d’insectes ainsi obtenu devrait offrir aux chercheurs un aperçu de la quantité d’espèces présentes, de leur diversité et de leur histoire évolutive.
Grâce aux séquenceurs toujours plus rapides, les scientifiques pourront évaluer, peu de temps après la phase de terrain, cette nouvelle approche, encore expérimentale, d’étude de la biodiversité. De quoi affiner encore leurs protocoles avant la dernière phase de ce vaste inventaire de la biodiversité calédonienne : les équipes prévoient déjà de retourner sur le terrain durant tout l’automne 2017, pour terminer de quadriller les forêts, les cours d’eau et les fonds marins.