La procureure de la CPI veut ouvrir une enquête sur l’Afghanistan
La procureure de la CPI veut ouvrir une enquête sur l’Afghanistan
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
En cas d’accord des juges, les investigations porteront sur les exactions des talibans, mais également des forces afghanes et américaines.
Fatou Bensouda à La Haye, en septembre 2015. | PETER DEJONG / AFP
La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, devrait demander, dans les prochaines semaines, l’ouverture d’une enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Afghanistan depuis mai 2003, indiquent plusieurs sources à La Haye. Si les juges donnent leur aval – une procédure qui peut prendre plusieurs mois –, les investigations devraient s’orienter dans trois directions : les crimes commis par les talibans, ceux des services de sécurité afghans et ceux des forces américaines. Washington n’a pas ratifié le traité de la Cour, mais l’Afghanistan en est membre depuis mai 2003, rendant la juridiction compétente pour les crimes commis sur son territoire, quelle que soit la nationalité de leurs auteurs.
Dès le début de son mandat en 2012, Fatou Bensouda avait demandé à Washington des informations sur des allégations d’abus commis par des soldats américains contre des détenus. Dans deux rapports d’étape de septembre 2013 et 2014, elle évoquait des « actes de torture » et des « mauvais traitements » infligés aux prisonniers. « Les renseignements disponibles laissent entendre qu’entre mai 2003 et juin 2004 des militaires américains se sont servis de ce qu’il était convenu d’appeler les “méthodes d’interrogatoire améliorées” contre des détenus pour des raisons liées au conflit afin de tenter d’obtenir davantage de renseignements exploitables », écrivait-elle.
Frappe américaine sur un hôpital de MSF
Jusqu’alors, la procureure s’est notamment appuyée sur des documents déclassifiés du gouvernement américain, dont des rapports du Pentagone et du Sénat dans lesquels sont décrites les méthodes d’interrogatoire, « qui auraient été approuvées par de hauts responsables de l’armée américaine en Afghanistan entre février 2003 et juin 2004 », ajoute le document de la procureure, et qui pourraient « être qualifiées de traitements cruels, torture ou atteintes à la dignité de la personne ». La procureure s’intéresse aussi au bombardement américain de l’hôpital de Médecins sans frontières (MSF) à Kunduz, le 3 octobre 2015, qui avait fait 42 morts.
Si elle est approuvée par les juges, cette enquête sera la plus difficile ouverte par la Cour à ce jour. Même si l’Afghanistan a ratifié son traité, Kaboul ne lui a pas ouvert ses portes en grand, et la procureure aura besoin de sa coopération pour conduire ses enquêtes, protéger ses témoins et procéder aux arrestations. Il faudra sans doute plusieurs années avant que soient émis des mandats d’arrêt, qui pourraient viser au premier chef les responsables talibans pour les attaques de civils « considérés comme des partisans du gouvernement afghan ou d’entités étrangères », les crimes contre « des étudiantes et des écoles de jeunes filles », et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans pour commettre des attentats. Concernant les forces afghanes, Fatou Bensouda évoque, dans ses rapports préliminaires, des actes de torture commis par les services de sécurité afghans.
Examen des crimes à Gaza
A La Haye, Les Américains s’inquiètent du contenu du dossier et devraient venir en force, mais uniquement en tant qu’observateurs, à l’Assemblée des Etats parties à la Cour qui doit s’ouvrir le 16 novembre. Il y sera aussi question du crime d’« agression », que la Cour, aujourd’hui mandatée pour poursuivre les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, devrait ajouter à ses compétences à partir du 1er janvier 2017, si elle obtient le feu vert de ses Etats membres. Décision à laquelle Washington, qui n’a pas de droit de vote, s’oppose.
La session des Etats parties s’annonce d’autant plus mouvementée qu’elle s’ouvrira un mois après la décision du Burundi, de l’Afrique du Sud et de la Gambie de se retirer de la juridiction, l’accusant de n’avoir, à ce jour, poursuivi que des responsables africains. La décision d’une enquête sur l’Afghanistan, prise avant l’annonce des retraits, pourrait les faire mentir. Elle est prise à un moment où la Cour inquiète de plus en plus de capitales. L’adhésion de la Palestine, en 2015, puis l’ouverture d’un examen préliminaire sur les crimes commis à Gaza avaient provoqué la colère d’Israël. Début janvier, la procureure a aussi commencé une enquête sur les crimes commis lors de la guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008.