« Naruto » : les aventures du plus célèbre des ninjas prennent fin en France
« Naruto » : les aventures du plus célèbre des ninjas prennent fin en France
Par Pauline Croquet
C’est l’un des mangas les plus connus et vendus dans le monde. Le dernier tome de Naruto vient de paraître en France. Il ne signe pas pour autant la fin de la saga.
Les aventures du ninja le plus célèbre de l’histoire du manga se sont achevées. Deux ans après sa sortie japonaise, le 72e et dernier tome de Naruto est paru aux éditions Kana en France vendredi 4 novembre. Il s’agit d’un au revoir bien plus que d’un adieu, sa relève de papier étant assurée.
Tout comme son grand frère Dragon Ball, Naruto est un manga pour jeunes adolescents, un pur shonen nekketsu, c’est-à-dire une histoire faisant l’apologie du courage, de la persévérance et de l’héroïsme. Au long de la série, le mangaka Masashi Kishimoto raconte le parcours de Naruto Uzumaki, un orphelin qui cherche à devenir le plus grand ninja et le chef de son village, Konoha, pour gagner le respect de tous. Alors qu’il n’était qu’un nourrisson, l’âme d’un démon destructeur, le renard à neuf queues, a été scellée dans son corps et les habitants le méprisent pour cette raison.
Numéro un des ventes pendant dix ans en France, alors qu’au Japon il n’a jamais réussi à détrôner un autre mastodonte, One Piece, Naruto s’est écoulé à 18 millions d’exemplaires à ce jour dans l’Hexagone ; à 200 millions dans le monde entier.
Un orphelin attachant
« Au début des années 2000, nous sommes tombés sur la série dans le magazine japonais de prépublication, Weekly Shonen Jump. Nous avons tout de suite accroché. Il comportait les ingrédients du shonen habituel : humour et bagarre, l’histoire de ninja était exotique. On a vite adopté cet orphelin laissé pour compte mais drôle et facétieux », explique Christel Hoolans, directrice générale déléguée de Kana, son éditeur français.
Un héros farceur et bougon, mais toujours loyal, comme le confirme son créateur. « J’ai toujours tenu à ce que Naruto reste droit, pour ne pas semer la confusion chez mes jeunes lecteurs. Mais je l’ai mis une fois dans une situation déstabilisante. Face à Nagato et à Pain, il s’interroge sur le bien-fondé de la vengeance et ne sait plus quoi penser. J’estimais qu’un héros devait aussi éprouver des doutes, sous peine de manquer de crédibilité », explique Masashi Kishimoto dans un entretien croisé avec un autre mangaka, Hiroaki Samura, quelques mois après la fin de série.
« J’avais 14 ans quand j’ai découvert Naruto, je pense que ce qui m’a vraiment plu, c’était l’univers. Naruto est le héros certes, mais il évolue dans un monde qui a des codes et dont on sait qu’il est rempli de personnages mystérieux. Pas n’importe lesquels, des ninjas, et tout l’imaginaire qui va avec », explique dabYo, l’un des administrateurs historiques de Way Of Naruto, un site francophone de fans fondé en 2001.
NARUTO © 1999 by Masashi Kishimoto / SHUEISHA Inc.
Un scénario simple et sans temps mort, des personnages auxquels il est facile de s’identifier… Difficile de trouver des défauts et des détracteurs absolus de Naruto. « Le dessin de Masashi Kishimoto est excellent. Sa particularité est qu’il utilise vraiment ses personnages secondaires, avec leurs techniques différentes et leurs pouvoirs différents. Pour un auteur qui devait tenir un rythme de prépublication de 22 pages par semaine, il était particulièrement innovant », détaille Christel Hoolans. « A tout moment, il arrive à rendre lisibles les moments d’action, les combats dantesques où les dragons aqueux se frottent à toutes sortes d’invocation diverses. C’est là sa grande force », analyse dabYo.
Un manga soigné et plein de références
Lorsqu’il commence Naruto, Masashi Kishimoto a 25 ans. « C’est une machine à dessiner dont le style graphique, solide, repose sur deux piliers : son idole Akira Toriyama (Dragon Ball) et Katsuhiro Otomo (Akira) à qui il a emprunté une représentation intense des visages et des émotions », évoquent Mathieu Pinon et Laurent Lefebvre dans leur livre Histoire(s) du manga moderne (Ynnis).
Nul doute que Toriyama soit le père spirituel de Kishimoto – il a repris sa façon de construire une saga épique et de raconter un destin familial. Mais aussi l’humour potache jusque dans les noms des personnages. Quand le nom de Gohan, dans Dragon Ball Z, signifie repas, bol de riz, Naruto Uzumaki fait directement référence à une petite décoration culinaire, le narutomaki. Kishimoto revendique également l’influence de Moebius et se dit grand fan du manga L’Habitant de l’infini de Hiroaki Samura.
La couverture du dernier tome où l’on voit Naruto devenu Hokage contemplant son village de Konoha. | NARUTO © 1999 by Masashi Kishimoto / SHUEISHA Inc.
Kishimoto s’appuie sur énormément de références à des légendes japonaises : « Les Trois Sanins légendaires, Orochimaru le grand méchant des premiers tomes ou encore les jutsus [techniques de combat] des personnages forts et inquiétants du manga, tous sont des références directes au folklore japonais », assure dabYo. Adrien, qui a fondé un autre site francophone de fans, CaptaiNaruto ajoute : « La multiplication des références et des personnages a permis aux fansites de beaucoup se développer : ça a nourri un nombre de débats impressionnants sur les références mythologiques, les inspirations… les gens essayaient sans cesse de trouver les indices qui permettront de spéculer sur le déroulé des événements. »
Une réputation gagnée sur le Web
Né en 1999, Naruto doit sa réputation et son succès à une communauté de fans à l’origine confidentielle mais solide. D’autant que les éditeurs ne s’emparaient pas encore du média Web. « A l’époque, on ne faisait pas de marketing, tout passait par le bouche-à-oreille », confirme Christel Hoolans de Kana. Les communautés de fan de Naruto sur la Toile se sont soudées autour des scantrads (les chapitres traduits du japonais au français et mis à disposition en ligne illégalement dans des délais très rapides), des forums mais aussi des fanfictions, ces nouvelles imaginées et écrites par des fans autour de l’univers d’une saga. Des milliers d’œuvres d’amateurs ont été consacrées à la relation entre Naruto et son rival Sasuke.
Naruto Opening 1
Durée : 01:33
Naruto paraît en France en 2002. Il arrive à son apogée entre 2005 et 2009. « Le manga était déjà populaire mais cela restait restreint au public habituel. Et puis il y a eu le boom de l’animé à la télévision française. Partout, on s’est mis à parler de Naruto », raconte dabYo, à la tête à l’époque d’une communauté de 300 000 membres inscrits. Chez CaptaiNaruto, les audiences commencent à exploser vers 2007. « Entre 2009-2011, on a atteint des records de lectures de scantrads en ligne, de fanfictions, assure Adrien, qui a lancé cette plateforme juste comme un exercice de création d’un site Internet. Nous avons même battu les records des sites américains : plus de 200 000 visiteurs uniques en une journée. Nous faisions ce site complètement à but non lucratif, avec une équipe qui a atteint 30 membres actifs bénévoles pour gérer le site. »
Un engouement en baisse
L’engouement s’est toutefois peu à peu délité. « En ayant côtoyé pendant près de quinze ans la communauté, j’ai vu des générations différentes de lecteurs passer. Il arrive toujours un moment où le lecteur commence à se détacher de la série après l’avoir suivie avec entrain pendant plusieurs années. Sans doute plus par changement de centres d’intérêt que par réelle baisse de qualité de la production », explique dabYo. « Nous avons gelé le site en 2014, cela correspondait à la fin japonaise mais aussi au désintérêt de plus en plus important des fans de la première heure, d’autant que Kishimoto tirait sur la corde. Dans les commentaires on pouvait clairement voir une certaine déception. La fin a déçu beaucoup de personnes. Il s’est perdu dans la surenchère », rappelle Adrien de CaptaiNaruto qui n’est, en dehors de Naruto, pas un grand lecteur de mangas.
« Comme Dragon Ball en son temps, le manga a vraiment touché l’ensemble d’une génération. Il n’est vraiment pas rare de tomber sur des gens qui ont lu la série sans jamais soupçonner qu’ils liraient des mangas. Après, le boom est bel et bien passé », estime dabYo, lui aussi déçu. « Malheureusement je n’ai pas apprécié la fin de la série. Je ne suis pas étonné, il est vraiment difficile de maintenir une qualité aussi haute pendant si longtemps. Cette baisse vient sans doute de l’abandon par l’auteur de nombreuses règles qu’il s’était imposées pendant longtemps. La chronologie et la logique entre les chapitres du début ont été perdues. »
Kana qui gère la licence de Naruto dans toute l’Europe et dont la série est un pilier de son économie, redoute la fin du ninja. « C’est un best-seller, on ne le remplacera pas de suite, ni avec une seule série », estime Christel Hoolans. Pour autant, en 2017, les lecteurs français entendront encore parler de Naruto.
Passer le relais aux enfants
En janvier sort en librairies Naruto Gaiden, un spin-off en un tome qui se concentre sur la génération après Naruto. L’héroïne est une jeune ninja, Sarada, la fille de Sasuke et Sakura, des anciens camarades de Naruto. On y aperçoit également Boruto, le fils de Naruto aujourd’hui Hokage, le chef de son village. L’ouvrage a été tiré à 1 million d’exemplaires au Japon et sera la passerelle entre Naruto et une nouvelle série, Boruto.
Boruto au premier plan de la couverture du tome 1. On aperçoit Sarada derrière à gauche. | BORUTO © 2016 by Masashi Kishimoto, Mikio Ikemoto, Ukyo Kodachi/SHUEISHA Inc.
Dans Boruto, le lecteur retourne à l’école des ninjas mais cette fois, avec les enfants des héros précédents. Le début se construit sur la relation conflictuelle de Boruto avec son père. Prévu en France pour mars 2017, il sera dessiné cette fois par un des assistants de Kishimoto, mais reste supervisé par l’auteur original.
Kana éditera cette nouvelle série à la demande de l’éditeur japonais, Shueisha. « J’ai été heureusement surprise en le lisant. Ils ne rallongent pas trop la sauce. Cela donne envie de relire la série mère », affirme Christel Hoolans. Les fans sont plus critiques « Boruto cible les très jeunes fans. Les fans de la première heure vont avoir du mal à s’identifier. La Shueisha a dû insister pour traîner, épuiser le filon », analyse Adrien. Et attendent la prochaine grosse saga. « Aujourd’hui je ne vois pas de série qui a à la fois des qualités équivalentes et un contexte aussi favorable pour se déployer de la même façon », estime dabYo.
Masashi Kishimoto a annoncé en août dernier qu’il travaillait à un autre manga. Pour l’instant rien n’est arrêté d’après ses éditeurs. L’auteur précisait toutefois dans l’entretien avec son confrère Samura : « Avant tout, je ne veux pas repartir sur une série trop longue ! J’aimerais bien faire quelque chose qui tienne en une dizaine de tomes. (…) Je préférerais éviter de faire quelque chose qui ressemble à Naruto. Mais c’est ce que mes lecteurs attendent de moi. (…) Mon autre souhait est de travailler sur un format mensuel, car je ne peux plus tenir le rythme de parution hebdomadaire. »
La saga Naruto en chiffres. | Quentin Hugon
Naruto, tome 72, éditions Kana, 6,85 euros, sortie le 4 novembre.
Les citations de Masashi Kishimoto sont extraites d’un entretien avec Hiroaki Samura, inséré dans la réédition collector de l’Habitant de l’infini, paru chez Casterman ce 2 novembre.