Vendée Globe | JEAN-PIERRE DICK

Si vous vous rendez aux ­Sables-d’Olonne (Vendée) pour le départ du 8e Vendée Globe, dimanche 6 novembre, les vingt-neuf marins prêts pour « l’Everest des mers » n’auront pas forcément la tête à parler des jours et des jours d’entraînement, des semaines de démarchage auprès des sociétés, des refus et des plans sur la comète, des ­rêves qui les hantent avant le jour J, des derniers préparatifs et baisers avant le grand départ.

Alors, quand ils traverseront la foule pour atteindre leur bateau, scrutez bien leur regard. Certains, pensant que ce sera peut-être leur dernier tour du monde en solitaire, profiteront des moindres minutes, les yeux écarquillés. D’autres seront déjà dans leur bulle, sur leur bateau, prêts à régler leurs voiles pour un voyage de quarante mille kilomètres.

L’exercice, presque galvaudé par la ­facilité avec laquelle certains semblent naviguer autour du monde comme on tourne autour d’un rond-point, reste pourtant un exploit aussi délicat que ­déraisonnable. Une performance qui ­nécessite de travailler et retravailler les moindres détails jusque dans les ultimes semaines. Le mois qui précède le départ devient alors ce « rituel un peu bizarre », comme le décrit Jean-Pierre Dick, skippeur de StMichel-Virbac, où hommes et machines doivent être prêts à aller au combat.

« Faut être un peu fou quand même »

Alors que la compétition n’a pas encore officiellement débuté, chaque skippeur s’est préparé en Bretagne, à sa façon, pour l’ultime ligne droite. A Port-la-Forêt (Finistère), Jean Le Cam (Finistère-Mer-Vent) attendait encore ses voiles neuves à quelques semaines du départ.

Cette promenade en mer à travers les quatre océans, il l’a déjà faite trois fois en solitaire. Dernier à avoir reçu les financements pour boucler son budget, le « roi Jean » avait hâte de retrouver ses compagnons de jeu. L’entraînement, « ça attendra le convoyage, hein », dit-il d’un sourire taquin, un brin revanchard.

A quelques mètres de son chantier, huit bateaux ont eu, eux, presque tout le loisir de s’entraîner dans des conditions que seul le pôle Finistère Course au large peut offrir. Plusieurs sessions courtes pour peaufiner les manœuvres, effectuer des tests de vitesse et débriefer ­ensuite entre marins.

Sans se donner les recettes, on a échangé des conseils, même si certains n’ont pas joué le jeu. « On en voyait passer à côté et repartir. On leur a vite fait comprendre que ça ne marchait pas comme ça ici », s’est presque emporté Yann Eliès en fronçant ses sourcils broussailleux.

Après sa première participation au Vendée Globe, en 2008, il a failli rester pour toujours « le skippeur qui s’est fracturé le fémur au large du cap Horn ». Le skippeur de Quéguiner-Leucémie Espoir va enfin pouvoir reprendre le départ du Vendée, non sans une question qui taraude toujours ces ­marins de l’extrême. « Faut être un peu fou quand même pour faire ce qu’on fait, non ? Mais combien en rêvent ? Non, en fait c’est génial un Vendée… Le risque, pendant cette période d’attente, est de s’affoler pour de petites choses. »

Du côté des bizuts, la période de préparation en Bretagne se révèle propice pour vérifier deux, trois ou même quatre fois la liste de ce qu’il ne faut pas oublier. Toujours un peu la tête dans le guidon à quelques jours du départ, Thomas Ruyant (Le Souffle-du-Nord pour le Projet Imagine) confie qu’il a « encore un paquet de détails techniques à régler »« Le dernier brief avec l’équipe m’a beaucoup rassuré, reconnaît-il. Je suis droit dans mes bottes mais on sent monter la pression, surtout depuis que les journalistes nous posent la question. »

A 65 ans, l’homme d’affaires hollandais Pieter Heerema (No-Way-Back), laisse entendre que « tout est sous contrôle ». Mais il avoue qu’« il reste encore beaucoup de petites choses à régler avec l’équipe » et qu’« il faut passer beaucoup de temps à être certain que tout marche à bord ».

Les Sables-d'Olonne, le 1 er novembre. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Une période aussi longue qu’épuisante

« Il ne faut pas se faire surprendre », ­résume Morgan Lagravière (Safran). ­Débutant timide et favori non déclaré, le jeune homme de 29 ans a su maîtriser sa machine de dernière génération après deux ans de travail et l’équivalent d’un tour du monde.

« L’appréhension est plutôt sur la nouveauté. C’est une ­situation que je n’ai encore jamais vécue. Je n’ai ­finalement que très peu d’expérience de course sur ces bateaux et ­celle-là est un gros dossier. A vrai dire, cette inconnue me stresse de plus en plus souvent. »

Pour répondre à ses angoisses, Morgan a travaillé plusieurs mois avec Jean-Claude Ménard, préparateur des champions olympiques de planche à voile Charline Picon, Julien Bontemps et Faustine Merret. Pas de recette miracle, mais des discussions à bâtons rompus qui répondent à ses craintes sur la solitude, la pression du résultat et à ses interrogations sur sa place dans la course au large.

« La première semaine est très chargée avec les médias et les partenaires. La deuxième, je coupe en restant à la maison. La dernière semaine, tu es plus ­concentré sur la partie météo, même s’il y a toujours des imprévus. » Armel Le Cléac’h

Loin de toutes ces questions existentielles du marin, il y a Armel Le Cléac’h. Deuxième des deux dernières éditions et grand prétendant au titre, le skippeur de Banque-Populaire-VIII a la grinta qui perce à travers ses épaisses lunettes ­noires.

Rien, dans la mesure du possible, n’est laissé au hasard. Son équipe du ­dernier Vendée a été quasiment ­reconduite à l’identique. Elle est aussi l’une des plus haut de gamme des trente teams de la course. Avec elle, « le Chacal » a ficelé ses dossiers les uns après les autres.

« C’est ma façon de me préparer mentalement, ma façon de me mettre dans les meilleures conditions, ­reconnaissait-il à quelques semaines du départ. Ne plus ressasser des choses qui ont été validées. Je fais confiance à l’équipe. Chacun a une job list à vérifier. » Rien alors n’a pu perturber son calme olympien pendant les trois semaines de village, si ce n’est un million de curieux venus visiter les lieux.

« Le danger est de se mettre dans le rouge »

Cette période est aussi longue qu’épuisante pour les nerfs des navigateurs, déjà bien occupés à garder de l’influx nerveux pour se préparer à la météo, à la ­remontée du chenal et au départ. Le ­risque étant de repartir des Sables plus fatigués qu’à l’arrivée de leur convoyage.

« On est dans un mode différent, ­reconnaît Armel Le Cléac’h. La pression est différente : le public, les médias, les ­invités… La première semaine est très chargée avec les médias et les partenaires. La deuxième, je coupe en restant à la maison. La dernière semaine, tu es plus ­concentré sur la partie météo, même s’il y a toujours des imprévus. »

Si pour les grosses écuries le schéma reste à peu près le même, pour les autres équipes plus petites l’objectif a été de maximiser les retombées presse pour les partenaires et les rencontres avec les invités et les médias. « Le danger est de se mettre dans le rouge, évoque Jean-Pierre Dick. Il faut savoir se préserver et séparer ce qui est impératif de ce qui ne l’est pas. »

Alors, pour ces trente marins, passer la ligne de départ sera un double soulagement. « D’abord parce que c’est un tel ­investissement personnel et de tels sacrifices que c’est comme si tu avais déjà ­gagné », relève la navigatrice Samantha Davies. Et la double participante de l’épreuve (2008 et 2012) de résumer : « Après les trois ­semaines passées au village, quand ils verront le dernier bateau accompagnateur rentrer au port, ils se ­diront : enfin seul ! Avant de réaliser : merde, maintenant il y a un tour du monde à faire ! »

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