« A même emploi, même temps de travail, l’écart de salaire entre hommes et femmes est d’environ 9% »
« A même emploi, même temps de travail, l’écart de salaire entre hommes et femmes est d’environ 9% »
Les internautes du Monde.fr ont pu poser leurs questions à Séverine Lemière, maîtresse de conférences à l’université Paris-Descartes, sur les inégalités salariales entre hommes et femmes.
Séverine Lemière, maîtresse de conférences à l’université Paris-Descartes, a répondu aux questions des internautes du Monde.fr sur les inégalités salariales entre hommes et femmes. Lundi 7 novembre à 16 h 34, le collectif Les Glorieuses avait appelé à un grand rassemblement. En effet, c’est la date symbolique à partir de laquelle les femmes travailleront « bénévolement » jusqu’à la fin de l’année, selon le calcul de différentes associations féministes, qui s’appuient sur des statistiques européennes.
Benoît G. : Légalement, à quelles sanctions s’exposerait un(e) patron (ne) ne respectant pas l’égalité salariale entre un homme et une femme ayant des conditions et temps de travail équivalents ?
Séverine Lemière : En premier lieu, les employeurs sont obligés de négocier avec les syndicats un accord sur l’égalité professionnelle et salariale. A défaut d’accord, un plan unilatéral doit être rédigé par l’employeur. Si cela n’est pas fait, l’employeur peut être sanctionné, financièrement. Par ailleurs, la discrimination salariale se plaide devant les prud’hommes. Il ne faut pas hésiter à contacter ses représentants syndicaux, et à saisir le Défenseur des droits.
Lebrac : Comment est-ce que l’inégalité salariale est calculée si la distribution des emplois entre hommes et femmes est inégale ? Et est-ce qu’il y a une inégalité dans la fonction publique ?
Séverine Lemière : En moyenne, en France, l’écart salarial annuel net est de 25,7 % (données 2012, Dares). Cet écart prend en effet en compte toutes les inégalités professionnelles : le temps partiel (1 femme sur 3 travaillant est à temps partiel), et la ségrégation professionnelle (le fait que femmes et hommes n’occupent pas les mêmes emplois, ne travaillent pas dans les mêmes secteurs…). Les économistes mesurent l’écart de salaire « toutes choses égales par ailleurs » c’est-à-dire en regardant à même temps de travail, même secteur, même taille d’entreprise, même catégorie professionnelle… L’écart de salaire restant est alors d’environ 9 % !
Par ailleurs, n’oublions pas que le principe juridique de l’égalité salariale dit « un salaire égal pour un travail de valeur comparable » et donc il faudrait établir l’égalité entre emplois différents par exemple très masculinisés et très féminisés jugés de même valeur. Cela permet alors d’appliquer l’égalité salariale même dans des emplois différents. Comme l’on fait les infirmières suisses qui se sont comparées aux gendarmes et ont vu leur salaire revalorisé !
Ewina : Alors que le salaire est encore un grand tabou, comment évaluer les différences de salaires au sein d’une entreprise quand on est simple salarié ?
C’est un vrai sujet ! L’accès aux salaires est compliqué dans les entreprises. Il est important d’avoir accès aux données salariales, en incluant les primes et les différents types d’avantages. Les indicateurs sexués demandés aux entreprises restent insuffisants, et les syndicats peuvent avoir beaucoup de mal à obtenir des données fines.
Robatronic : Les inégalités salariales, apparaissent-elles à l’embauche (faible salaire d’embauche) ou au cours d’une carrière (peu d’augmentation, de prime…) ?
Les inégalités de salaires se creusent avec la carrière, effet du plafond de verre et effet des maternités. Rappelons qu’une femme sur deux réduit ou cesse son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant. Ces interruptions de carrière et le passage à temps partiel vont donc avoir un impact sur les salaires des femmes. Mais les études montrent aussi des inégalités salariales pour les femmes ayant eu une carrière continue… Le soupçon de maternité rode.
Anaïs : L’inégalité à poste, expérience, âge, taille d’entreprise équivalents est d’environ 10 % entre les hommes et les femmes. Cette inégalité de salaire inexpliquée, quelle que soit sa valeur, n’est-elle pas due au fait que les hommes négocient plus en moyenne leur salaire que les femmes ?
Certes les femmes ont sûrement à s’améliorer dans leurs négociations salariales, et à prendre conscience des inégalités et confiance dans leurs compétences. En amont des salaires, des efforts sur l’éducation et les rôles sociaux des femmes et des hommes restent à mener. Mais les inégalités structurelles et intégrées sont tenaces. Par ailleurs, la négociation doit aussi être collective dans la revalorisation salariale des emplois très féminisés et souvent mal reconnus en termes de compétences mises en œuvre et donc de salaire.
Papi H : Le salaire dans l’enseignement public, pour un échelon donné, est identique pour les deux sexes ! Pourriez-vous préciser les corps de métiers où la différence est importante ?
Malgré les grilles salariales, des différences de salaires peuvent tout de même exister entre femmes et hommes, notamment en termes de carrières et de compléments salariaux. Les écarts salariaux les plus importants se retrouvent principalement dans les métiers « mixtes » et parmi les cadres, qui ont souvent aussi une hétérogénéité plus grande des salaires.
Lola : Les économistes comprennent-ils les causes des différences de salaire avec « toutes choses égales par ailleurs » de 9 % ?
Ces 9 % sont assimilés à de la discrimination salariale pure pour les économistes. Néanmoins, les enquêtes peuvent aussi avoir du mal à saisir des éléments très fins (ségrégations très fines au sein de métiers similaires, primes…). Au niveau des entreprises, lorsqu’on fait ces mêmes calculs, on aboutit généralement à un pourcentage plus faible, car l’échantillon des données est plus homogène. Mais les plaintes individuelles montrent aussi des écarts beaucoup plus importants de salaires.
Par ailleurs, rappelons que ces données statistiques ont encore du mal à intégrer le principe juridique « un salaire égal pour un travail de valeur égale » et donc la sous-valorisation des emplois très féminisés. En 2010, une responsable des ressources humaines et des services logistiques a obtenu gain de cause pour discrimination salariale en comparant son métier (compétences, responsabilités, stress, budget…) au directeur financier et directeur commercial de l’entreprise.
Jasmina : Y’a-t-il une étude concernant le secteur privé qui établit la différence salariale à année d’expériences égales, nombre d’heures travaillées égales et évidemment diplôme et poste identique ? Quel est le résultat d’une telle étude si elle existe ?
La Dares publie régulièrement des études, dont l’une très intéressante qui date de novembre 2015 intitulée « Ségrégation professionnelle et écarts de salaires femmes-hommes » (PDF). Bonne lecture !
BenG : Les inégalités de salaires sont dues aux niveaux de compétences et de rentabilité d’un employé, ne parlerions-nous pas plutôt d’équité des salaires entre hommes et femmes ?
Les inégalités salariales rassemblent beaucoup d’inégalités professionnelles, dans ce cadre la notion d’inégalité est pertinente. Mais cette notion d’équité l’est aussi notamment sur la valeur égale des emplois féminisés et masculinisés, les Québécois, très avancés sur cette question, parlent d’ailleurs de l’équité salariale.