Bongani Tsabalala, responsable du recrutement, Pernod Ricard Afrique subsaharienne. | Omar Victor Diop

Quand on demande à Omar Victor Diop où il habite, la réponse fuse : « Dans un avion ! » C’est que le photographe sénégalais est sollicité de toutes parts. Son succès a été fulgurant. A peine deux mois après avoir commencé la photographie, il expose aux Rencontres de Bamako en 2011. Tout va très vite après : Biennale de Dakar, Rencontres d’Arles, galerie André Magnin. Depuis, il est devenu la coqueluche des collectionneurs internationaux. Au point que le groupe de spiritueux Pernod Ricard lui a demandé de réaliser les photos de ses employés basés en Afrique pour son rapport annuel 2015-2016, ensemble qui sera exposé à la foire Paris Photo, du 10 au 13 novembre, au Grand Palais.

Si Omar Victor Diop a l’assurance et la politesse des gens bien nés, il a aussi la lucidité de ceux qui savent que la réussite est volatile. Sixième et dernier rejeton d’une fratrie de juristes et de financiers, il a d’abord obéi à l’atavisme familial. Après avoir fait ses gammes à l’école de commerce ESCP, à Paris, il est recruté par le cabinet d’audit Ernst & Young à Dakar, puis par le producteur de tabac et cigarettes British American Tobacco, qui l’envoie au Kenya et au Nigeria.

Omar Victor Diop. | DR

« Je n’y trouvais pas mon compte. On n’a pas droit à de la fantaisie quand on rédige un rapport annuel, confie-t-il. Je visitais les expositions à la manière d’un intrus mélancolique, en me disant : Dommage que je n’aie pas fait d’école d’art, c’est trop tard pour devenir artiste. » Ce qui ne l’empêche pas de pratiquer la photographie le week-end, en s’inspirant aussi bien des portraitistes de studio africains, des superpositions d’étoffes d’Henri Matisse, que des photographes de mode tels que Richard Avedon, Annie Leibovitz ou Jean-Paul Goude. Sans oublier un penchant pour la culture hip-hop et le R & B.

Placards de sa mère et marchés dakarois

Il résulte de ses photos un mélange assez pop, empruntant aussi bien à l’imagerie africaine qu’aux codes visuels de la mode. Peu d’improvisation, beaucoup de préparation, tel est d’emblée son mode opératoire. Pour trouver le bon accessoire ou tissu, il fourrage dans les placards de sa mère et les marchés dakarois. Son premier projet baptisé Le Futur du beau trouve grâce auprès des curatrices des Rencontres de Bamako. C’est le début de la réussite : son travail est plébiscité de Dakar à Paris, en passant par Arles.

Lola Ashafa, gestionnaire de marque, Pernod Ricard Nigeria. | Omar Victor Diop

L’année suivante, Omar Victor Diop annonce à sa famille que le seul objectif qui compte désormais pour lui, c’est celui de son appareil photo. Il a 32 ans, c’est l’onde de choc. « Mes parents étaient dubitatifs, rapporte-t-il. Mais ils se sont dits que j’avais un bon boulot, et que sans doute j’avais besoin d’une pause. » Une pause qui n’en finit plus.

Conçue en 2014, la série Diaspora le place définitivement sur orbite. Pour la première fois, Omar Victor Diop se met en scène en incarnant des personnages célèbres ou oubliés de la diaspora africaine du XVe au XIXe siècle, période où les seules formes d’interaction entre l’Europe et l’Afrique semblaient se résumer à l’esclavage et la colonisation.

« J’essayais de transformer un passé oublié en actualité pour redémarrer une conversation, explique-t-il. On a oublié que les royaumes africains envoyaient des diplomates auprès de la reine du Portugal. Qui se souvient que Jean-Baptiste Belley, l’un des artisans de la Révolution française et le premier député noir français ? Il est tombé dans l’oubli dans sa terre natale, le Sénégal, et aussi en France. C’est une histoire qu’il faut célébrer ensemble, et pas la confiner à un manuel scolaire au Sénégal. »

Afro-optimiste convaincu

Dans le concert de louanges qui accueille ce travail, il existe quand même quelques fausses notes. On lui reprochera son esthétisme, un certain maniérisme, voire une trop grande parenté avec les autoportraits de son confrère – et aîné – camerounais Samuel Fosso. Qu’importe, Omar Victor Diop reste droit dans ses bottes.

S’il séduit aujourd’hui un public plus vaste que les aficionados d’art africain, c’est qu’il ne fait pas « un art pour Black ». Pas plus qu’il ne goûte au misérabilisme. « Je veux faire le portrait d’une génération africaine dynamique, insiste-t-il. Je ne suis pas agacé qu’on parle des épidémies, d’Ebola. Ce qui pose problème, c’est qu’on ne parle que de ça. Or, il y a très peu de représentations alternatives de l’Afrique urbaine, celle des blogueurs, des jeunes designers, des entrepreneurs. »

Et d’ajouter : « Ce n’est pas une malchance d’être africain, c’est au contraire une sacrée chance, car nous sommes des caméléons. On parle spontanément le wolof, on apprend le français à l’âge de 3 ans, l’anglais à 12. Si j’avais été un jeune Américain du Midwest, je ne parlerais que l’anglais, je n’aurais pas de passeport et je penserais que le reste du monde est une terre sauvage. »

Stephen Wawire, gestionnaire de la chaîne d’approvisionnement, Pernod Ricard Kenya. | Omar Victor Diop

Omar Victor Diop est un afro-optimiste convaincu. Et ses mots ne sont pas ceux de la colère. « Je ne veux pas entrer dans le commerce de la rancœur, être un pourfendeur de l’Europe et des anciennes puissances coloniales, précise-t-il. Mais ce que je vois, c’est qu’un jeune Sénégalais né en 1980 en France a du mal à s’identifier comme Français. Le simple fait de lui rappeler que l’histoire des Français noirs remonte à plusieurs siècles et pas à l’arrivée de ses parents dans les années 1970, c’est un pas en avant. »

Le sentiment d’exclusion, il admet ne l’avoir jamais expérimenté. « Je ne suis pas un émigré, poursuit-il. Je suis un Sénégalais qui voyage, je ne reste jamais nulle part assez longtemps pour qu’on n’accepte pas ma présence. » L’exil ne le tente d’ailleurs guère. « J’ai passé l’âge de changer de vie, affirme-t-il. Je n’aurai pas la patience qu’il faut et, au bout de quelques semaines, j’aurai envie de rentrer chez moi. A Dakar, je sais où trouver les talents, le bon costumier qui saura me recréer une tunique du XVIe siècle. En produisant ici, je suis crédible, je donne une légitimité à ma mission qui est de montrer une autre Afrique. »

« Comme un poisson dans l’eau »

Cette autre image, il la propage aussi avec la série Mindset. Le cahier des charges était simple : produire dix-sept portraits de collaborateurs cosmopolites basés en Afrique. « J’étais comme un poisson dans l’eau avec ces gens, ravis de voir une diversité, alors qu’habituellement, dans les grands groupes, il y a beaucoup d’expatriés occidentaux aux manettes et peu de décideurs locaux », raconte-t-il.

Mais Omar Victor Diop est déjà passé à autre chose. Ce qui l’occupe en ce moment, c’est l’histoire des mouvements de revendication en Afrique et dans la diaspora, de la révolte des tirailleurs sénégalais en 1944 aux marches de Selma à Montgomery (Alabama) en 1965, moment marquant de la lutte pour les droits civiques des Noirs américains. Sans oublier « les soulèvements actuels d’une génération qui se bat pour préserver la démocratie des ambitions des présidents éternels. »

Paris Photo, du 10 au 13 novembre, Grand Palais, Paris, www.parisphoto.com