Militants, trolls, bots… comment la mobilisation en ligne des pro-Trump a pesé
Militants, trolls, bots… comment la mobilisation en ligne des pro-Trump a pesé
Tout au long de la campagne, une armée d’internautes a inondé les réseaux sociaux de messages pro-Trump, mais aussi de fausses informations pour nuire à Hillary Clinton.
La grenouille Pepe the Frog, devenue un « mème » sur Internet, a été récupérée par une des franges les plus extrémistes des supporteurs de Donald Trump.
« Alors, qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir ? Voir cette connasse perdre ou voir Dieu l’empereur l’emporter ? » A l’annonce de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, mercredi 9 novembre, le forum anonyme 4chan, l’un des plus populaires du Web, exultait. Ou plus particulièrement /pol/, son sous-forum « politiquement incorrect », repaire des réacs, nationalistes et suprémacistes blancs décomplexés où, pendant des mois, ses utilisateurs ont milité en faveur du candidat républicain.
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Tout au long de cette campagne pour la Maison Blanche, Donald Trump a bénéficié d’une armée d’internautes particulièrement actifs et virulents – parfois surnommée la « Trump’s Troll Army » – sur les plates-formes les plus populaires du Web. Une mobilisation très forte, qui a parfois surpris par son ampleur : l’émergence fulgurante du forum r/The_Donald sur Reddit, une autre plate-forme extrêmement fréquentée, a étonné jusqu’à son propre créateur. Ils étaient 5 000 abonnés en janvier ; un chiffre quasiment multiplié par dix le mois suivant, jusqu’à atteindre 267 000 aujourd’hui.
Alt-Right et Gamergate : un contexte favorable en ligne
Ces adorateurs de Trump ont inondé la Toile de messages pro-Trump et anti-Clinton de toutes sortes, qu’ils soient sérieux ou parodiques, argumentés ou insultants. Le tout servi par un contexte relativement favorable : celui du développement, sur Internet, de communautés en ligne réactionnaires de plus en plus influentes, largement médiatisées, comme le Gamergate et l’Alt-Right. Si, contrairement au second, le premier ne se revendique pas pro-Trump, ces mouvements aux contours flous partagent des valeurs anti-« establishement », anti-« politiquement correct « et anti-« Social Justice Warriors » (terme souvent utilisé pour désigner de façon péjorative les militants féministes et LGBT). Bref, ce qu’incarne, à leurs yeux, Hillary Clinton. Ces communautés se retrouvent aussi dans leur aversion envers les médias, l’islam ou encore le mouvement antiraciste Black Lives Matter.
Ces mouvements subversifs, adeptes du « trolling » et du harcèlement, ont beaucoup fait parler d’eux ces derniers mois. Notamment cet été, quand l’actrice américaine noire Leslie Jones a fait l’objet d’une violente campagne de harcèlement en ligne. Ce qui a mené à l’éviction de Twitter de Milo Yiannopoulos, personnalité centrale de l’Alt-Right, proche du Gamergate, journaliste pro-Trump affiché, « superméchant d’Internet » revendiqué, suivi par des hordes de fans et considéré, par le site américain The Verge, comme « l’un des pires trolls de Twitter ».
Piratage et désinformation
Les internautes pro-Trump ne se sont pas limités à envahir le Web de messages en faveur de leur candidat : ils se sont aussi montrés très imaginatifs pour mettre des bâtons dans les roues d’Hillary Clinton. A commencer par le partage massif de fausses informations, et ce jusqu’au jour J. Ainsi, des tweets prenant l’allure d’informations officielles de l’équipe Clinton assuraient, peu avant la date fatidique, qu’il était possible de voter par SMS. Twitter en a supprimé un certain nombre, mais l’ampleur du phénomène fut telle que le réseau social s’est senti obligé de publier un message sur un de ses comptes officiels pour rappeler qu’il était impossible de voter par texto ou par tweet.
D’autres tweets se faisant passer pour des communiqués de l’équipe d’Hillary Clinton ont tenté de décourager les électeurs à se déplacer, en leur assurant qu’ils devaient apporter au bureau de vote pas moins de sept documents, du livret de naissance à la carte de Sécurité sociale. D’autres, enfin, laissaient entendre qu’il était possible de voter jusqu’au 9 novembre.
Certains internautes sont même allés plus loin, revendiquant des actes de piratage informatique visant le camp Clinton. Ainsi, un message sur 4chan annonçait dimanche des attaques par déni de service (Ddos) sur des outils utilisés par Hillary Clinton pour mener sa campagne, notamment TCN, un service d’appels téléphoniques. Dimanche et lundi, le service a effectivement subi d’importants ralentissements, rapporte le site spécialisé Wired, qui a souligné que cela avait aussi affecté la campagne de Donald Trump.
En octobre, des utilisateurs de 4chan avaient également revendiqué le piratage du compte Apple de John Podesta, le directeur de campagne d’Hillary Clinton, clamant avoir supprimé le contenu de son iPhone – ils avaient trouvé son identifiant et son mot de passe dans un des nombreux e-mails publiés par WikiLeaks.
Une armée de « bots »
Donald Trump a aussi pu tirer profit des « bots », ces programmes informatiques qui publient automatiquement des messages sur les réseaux sociaux. Selon une étude publiée la veille du scrutin par deux chercheurs de l’université de Californie du Sud, près d’un tweet sur cinq consacré à cette élection serait issu de bots. Ils évaluent le nombre de ces faux comptes automatiques à 400 000. Pour le chercheur d’Oxford Philip Howard, qui a publié une autre étude sur le sujet en octobre, la majorité de ces tweets seraient pro-Trump. Autour du premier débat entre les deux candidats, 576 178 tweets auraient ainsi été publiés automatiquement en faveur de Donald Trump, contre 136 639 pour Hillary Clinton.
Selon les chercheurs californiens, les tweets pro-Trump se montrent plus « positifs » et produisent peu de tweets « négatifs », c’est-à-dire qu’ils encensent leur candidat, là où les bots pro-Clinton tendent à s’en prendre davantage à son concurrent.
Surtout, ces bots se montrent de plus en plus sophistiqués et il n’est pas évident de les distinguer des tweets authentiques, soulignent les chercheurs. Ce qui explique pourquoi les utilisateurs du réseau social les retweetent régulièrement comme s’il s’agissait de vrais messages.
Malgré la présence massive et la virulence des internautes pro-Trump et de leurs bots, il est impossible aujourd’hui de mesurer quelle a été leur influence réelle lors de cette campagne, et sur le résultat de l’élection. D’autant plus que les partisans d’Hillary Clinton ne se sont pas non plus montrés timides en ligne, et se sont eux aussi équipés, à leur façon, de leur propre armée d’internautes et de bots.