Comment Jean-Marc Ayrault a repris en main les affaires africaines
Comment Jean-Marc Ayrault a repris en main les affaires africaines
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur analyse les changements que l’ancien premier ministre a imposés au Quai d’Orsay depuis son arrivée en février.
Il y a comme un parfum de revanche qui flotte dans les couloirs du ministère français des affaires étrangères à Paris. Ici, on savoure, à juste titre sans doute, le grand retour des diplomates dans la conduite des « affaires africaines ». Et ce n’était pas gagné d’avance. Car, profitant du contexte sécuritaire (Sahel, Centrafrique, menace terroriste) et du désintérêt évident du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius pour le continent, à la seule exception de ramener les otages du Cameroun (2013, 2014) et du Niger (2013), les militaires avaient pris à Paris le leadership de la réflexion et de la décision sur l’Afrique. Avec naturellement leurs priorités : la stabilité et la sécurité. Cette grille de lecture a fait le bonheur des derniers dinosaures de la Françafrique que sont le Congolais Denis Sassou-Nguesso, le Camerounais Paul Biya ou le Tchadien Idriss Déby Itno. Signe de cette montée en puissance des militaires dans les affaires africaines, depuis le début du quinquennat de François Hollande, les officiels du continent de passage à Paris ont, en bonne place sur l’agenda, un entretien rue Saint-Dominique, siège du ministère de la défense. Parfois avant même de passer par la cellule africaine de l’Elysée ou le Quai d’Orsay.
Devenu progressivement « le ministre de l’Afrique », Jean-Yves Le Drian était l’interlocuteur privilégié du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) pour le règlement de la crise au nord du Mali. Il était également en lien direct avec Idriss Déby Itno, qu’il tutoie désormais, et avec Denis Sassou-Nguesso pour la recherche d’une sortie de crise en Centrafrique. Au plus fort des violences à Bangui, le ministre français de la défense avait réclamé puis obtenu la démission, en janvier 2014, du président centrafricain autoproclamé Michel Djotodia, convoqué en urgence à N’Djamena.
Retournement de situation
A la faveur du remaniement du gouvernement français en février, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault s’est installé au Quai d’Orsay dans le fauteuil de Laurent Fabius, parti prendre la présidence du Conseil constitutionnel. Alors qu’il ne dispose, à la différence de son prédécesseur, d’aucun réseau « françafricain », l’ancien maire de Nantes (1989-2012) fait preuve paradoxalement d’une grande passion pour les dossiers africains. Il se rend ainsi plusieurs fois sur le continent abandonné aux militaires par son prédécesseur.
Au moment où paraît cette chronique, Jean-Marc Ayrault se trouve au Sénégal, d’où il devrait partir, vendredi 11 novembre, pour la Guinée. Mieux, l’ex-premier ministre réussit à entraîner son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, au Sahel (Mali, Niger) et en Libye. Mais c’est sans doute l’investiture, le 20 mars, du nouveau président centrafricain Faustin-Archange Touadéra qui marque un tournant dans le retour du Quai d’Orsay aux affaires africaines. Là où Laurent Fabius se serait effacé au profit de son collègue de la défense, Jean-Marc Ayrault décide de se rendre à Bangui pour assister à la prise de fonction du président Touadéra. Fait totalement inédit, chacun des deux ministres s’envole de son côté dans un avion de la flotte gouvernementale.
La présidentielle au Gabon et la crise politique en République démocratique du Congo (RDC) vont plus tard achever d’imprimer l’empreinte Ayrault sur les grands sujets africains. Après s’être clairement prononcé pour le recomptage des voix au Gabon bureau de vote par bureau de vote, le chef de la diplomatie française adopte un ton et choisit des mots qui tranchent avec la prudence et l’ambiguïté auxquelles la France nous a habitués, s’agissant des tensions post-électorales ou pré-électorales en Afrique. « La situation des responsables de l’opposition qui se trouvent au quartier général de la campagne de Jean Ping dans des conditions sanitaires difficiles et en dehors de tout cadre juridique présente un risque humanitaire. Nous demandons, a-t-il affirmé le 2 septembre, aux autorités gabonaises d’y remédier en rendant de manière urgente leur liberté de mouvement aux personnes concernées. » Le chef de la diplomatie française a récidivé, quelques jours plus tard, s’exprimant devant les étudiants de Sciences Po Paris sur la situation en RDC. « Ce pays est au bord de la guerre civile, a-t-il estimé le 28 septembre, parce qu’il y a un président qui est en place et qui veut garder le pouvoir alors qu’il n’en a plus le droit. »
Le style et la méthode
Le nouveau rapport de forces entre diplomates et militaires dans les affaires africaines est d’abord le fruit d’un changement de gouvernance interne au Quai d’Orsay. Aussitôt installé dans la grande maison, qu’il ne connaissait pas auparavant, Jean-Marc Ayrault a libéré l’énergie et les initiatives de ses collaborateurs. Ici, il prête modestement une oreille attentive aux analyses de ses services ; là, il demande des fiches d’éclaircissements sur un contexte qui lui échappe. Ailleurs, le « nouveau patron » consulte dans l’avion qui l’emmène ou le ramène à Paris des notes préparées à son attention. Un management qui tranche totalement, selon nos confrères de L’Obs, avec celui de son prédécesseur. C’est donc l’argumentaire et le point de vue de la maison que le chef de la diplomatie s’évertue finalement à défendre dehors. Il n’est, par exemple, un secret pour personne que la défense et les affaires étrangères n’ont pas une lecture totalement identique de la situation en Libye. En effet, alors que les diplomates sont partisans d’un soutien exclusif au gouvernement d’union nationale, les militaires entretiennent des relations clandestines avec le général Khalifa Haftar, grand rival du premier ministre Fayez Al-Serraj.
L’ancien maire de Nantes a par ailleurs eu Jean-Yves Le Drian et Manuel Valls comme ministres dans son gouvernement. Ce n’est pas un moindre atout dans les arbitrages sur les dossiers africains que le président Hollande pourrait être amené à rendre. A cela s’ajoute, comme allié stratégique du Quai d’Orsay, la prise en main en septembre de la cellule africaine de l’Elysée par Thomas Melonio après le départ d’Hélène Le Gal pour le poste d’ambassadrice de France à Tel-Aviv.
A en croire Hollande l’Africain, excellent ouvrage du journaliste Christophe Boisbouvier, Thomas Melonio, ancien cadre de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), qui a travaillé pour le Parti socialiste et la Fondation Jean-Jaurès, a proposé avant la présidentielle de 2012 à Hollande une doctrine visant « la normalisation » des relations entre Paris et ses anciennes colonies.
Sa grille de lecture des affaires africaines devrait donc être plutôt proche de celle du Quai d’Orsay que des militaires.
Au final, même s’il ne parvenait pas à démanteler d’ici à la fin du quinquennat la Françafrique – ce qu’avait pourtant promis Hollande au Bourget en 2012 –, Jean-Marc Ayrault aura cependant réussi à mettre la diplomatie française dans des habits neufs, en s’exprimant aussi franchement et directement sur la présidentielle au Gabon et sur la crise politique en RDC.
Seidik Abba, journaliste-écrivain, auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires sécrètes (2010-2011) (éd. L’Harmattan, 2013).