Cina Lawson : « L’accès à Internet pour tous les Togolais est au cœur de nos préoccupations »
Cina Lawson : « L’accès à Internet pour tous les Togolais est au cœur de nos préoccupations »
Propos recueillis par Pierre Lepidi
La ministre du numérique du Togo a lancé plusieurs initiatives, dont le versement de subventions par mobile à des agriculteurs en difficulté.
Le Togo, qui compte près de 7 millions d’habitants, a investi dans les infrastructures télécoms et le développement de services en ligne ou via le téléphone portable. Après avoir lancé fin octobre de nouvelles négociations pour l’attribution des licences 4G aux opérateurs de téléphonie mobile, la ministre de l’économie numérique du Togo, Cina Lawson, a inauguré début novembre dans plusieurs localités du pays un dispositif permettant d’offrir aux populations un service de communication à prix réduit baptisé Wi-Fi Public.
Cette ancienne consultante en télécoms auprès de la Banque mondiale de 43 ans a été nommée en septembre 2013 ministre des postes et de l’économie numérique du Togo.
Comment soutenez-vous l’économie du numérique au Togo ?
Cina Lawson Il y a plusieurs aspects pour lesquels le numérique est pertinent. Le premier est lié à nos objectifs de croissance. L’ambition du Togo est de devenir une plateforme régionale sur le plan portuaire, aéroportuaire et financier. Dans ce contexte, il est important d’avoir des infrastructures de télécoms. Le numérique, qui représente environ 10 % du PIB, permet donc de soutenir la croissance du Togo [évaluée à 5,4 % en 2015].
Avec le ministère de l’agriculture, vous avez lancé AgriPME, un dispositif utilisé aujourd’hui par plus de 25 000 agriculteurs. En quoi consiste t-il ?
AgriPME [contraction d’agriculture porte-monnaie électronique] permet de distribuer des subventions aux agriculteurs par paiement mobile. Au départ du projet, nous avons identifié ceux qui étaient les plus fragiles, les plus vulnérables du pays [76 522 ont été recensés], et nous leur avons donné une carte SIM dotée d’un crédit, dont la valeur correspond au montant de la subvention à laquelle ils ont droit. Sur son téléphone, l’agriculteur reçoit ensuite un code qu’il présente à son distributeur d’engrais qui est équipé d’un terminal. Si l’agriculteur n’a pas de téléphone, il présente simplement cette carte SIM qui sera analysée par le système. Le distributeur entre ensuite un code qui permet de connaître le montant de la subvention en engrais qu’il doit verser à l’agriculteur. Le paysan peut payer le reste de ses engrais virtuellement s’il a au préalable crédité son compte, ou en liquide dans le cas contraire.
Ce système va permettre une très grande traçabilité de l’utilisation des subventions agricoles et connaître précisément la demande de chaque localité en engrais. AgriPME est intéressant pour le secteur privé, car si vous souhaitez distribuer demain des engrais dans une préfecture, vous connaîtrez la demande exacte. C’est l’Etat qui, de façon très précise, aura communiqué cette information. Grâce au projet AgriPME, le Togo est le premier pays francophone à distribuer des subventions par paiement mobile.
Comment le système a t-il été accueilli ?
L’accueil au niveau des cadres moyens et au sein des administrations a d’abord été assez mitigé. Beaucoup étaient sceptiques sur le versement de ces subventions par mobile. Mais les paysans ont reçu des explications et, comme il s’agissait de percevoir une aide financière, l’adhésion au projet a été rapide.
En Afrique, l’absence de statistiques et de données pèse souvent sur les décisions économiques. Le système AgriPME permet d’obtenir des données très précises. Il peut apporter des données économiques intéressantes et donc booster la croissance.
Mais attention, il ne s’agit pas de contrôler la population. Dans le cadre de ce projet, nous avons identifié les paysans vulnérables. C’est donc le service public qui s’est mis au service des citoyens.
Quelles mesures avez-vous également adoptées pour développer le secteur numérique au Togo ?
Nous avons massivement investi dans les infrastructures de la fibre optique dans la capitale, en reliant notamment près de 500 bâtiments administratifs, des lycées publics et des hôpitaux à Lomé. Au niveau du gouvernement, on a fait voter un projet de loi pour la suppression de la TVA et des taxes douanières sur le matériel informatique afin d’obtenir une baisse des prix et faciliter l’accès à l’informatique. L’accès à Internet pour tous les Togolais est au cœur de nos préoccupations.
Nous sommes aussi en train de revoir tout le réseau informatique des deux universités publiques pour mettre du Wi-Fi et intensifier le signal. Vous savez, peut-être que sur les cartes de visite des ministres africains, on lit souvent des adresses Google ou Yahoo. Pour les ministres togolais, nous avons maintenant des adresses « gouv.tg » ! On a aussi un portail togo.gouv.tg avec la création d’un Journal officiel « open data » et le portail de la République.
Enfin, on a aussi service.gouv.tg où l’on trouve les formulaires et les procédures de l’administration. On agit donc au niveau des infrastructures et des applications. Il ne suffit pas de poser de la fibre optique, il faut aussi développer des systèmes qui permettent de soutenir concrètement la population.
Vous inspirez-vous du Rwanda qui a beaucoup investi en matière de nouvelles technologies ?
Oui, tout à fait. Je suis en contact permanent avec mon homologue rwandais [Jean-Philibert Nsengimana, ministre de la jeunesse et des technologies de l’information]. Le Rwanda développe notamment un système de drones capable de porter des poches de sang dans des endroits difficilement accessibles. C’est une idée fantastique et nous en avons beaucoup discuté. De notre côté, on aimerait que le Togo possède la 4G. Lorsqu’on est un petit pays avec un revenu moyen par utilisateur assez faible, il faut trouver des business models intéressants. On travaille donc avec le Rwanda, en envoyant notamment une équipe sur place, mais aussi avec le Kenya qui est très en avance sur les systèmes de paiement par mobile.
Envisagez-vous d’étendre le numérique à d’autres domaines ?
Nous développons un projet d’e-village qui va concerner 4 400 chefs de village et chefs de canton au Togo. L’idée est simple. On leur fournit un crédit mensuel, un téléphone et une carte SIM. Tous les mois, ils perçoivent un crédit qui doit leur permettre par exemple de prévenir leur préfet d’un danger, d’un accident grave ou de lui signaler la présence d’individus potentiellement dangereux puisque nos frontières sont poreuses. Les maires ne peuvent plus dire « Je n’avais pas de crédit » puisque celui-ci est versé chaque mois et doit servir dans certaines situations.
Pour les épidémies de méningite, par exemple, ils ont le devoir d’alerter dès qu’une personne ou deux tombent malades de façon suspecte. Les chefs de village se sentent ainsi reconnus puisqu’on leur a donné un outil de travail. Des données GPS ont aussi été relevées au sein des villages pour différentes études. Il faut que l’Etat se considère comme une entreprise, qu’elle connaisse ses citoyens comme ses clients.
Le numérique est donc un véritable levier de croissance…
Oui, plus que jamais. Mais, au-delà de cela, il y a ce que les populations sont en droit d’attendre. Dans la plupart des pays d’Afrique, 75 % de la population a moins de 35 ans. Il y a donc une vraie demande pour être connecté une fois que les premiers besoins sont assurés.