Les résultats de la primaire soulignent (encore) les limites des sondages
Les résultats de la primaire soulignent (encore) les limites des sondages
Par Adrien Sénécat
Les études ont en partie perçu la « dynamique Fillon » dans les jours précédant le scrutin, mais le résultat du premier tour souligne aussi leurs failles. Explications.
Le raz-de-marée François Fillon a dépassé toutes les prévisions. L’ancien premier ministre est arrivé largement en tête au premier tour de la primaire à droite, dimanche 20 novembre, avec environ 44 % des voix selon les résultats partiels. Certes, les derniers sondages publiés dans les jours qui ont précédé le scrutin laissaient entrevoir sa qualification au second tour de la primaire, voire son arrivée en tête des votes. Mais pas l’ampleur du résultat. Comment l’expliquer ?
1. Un nombre de votants plutôt bien évalué
Les sondeurs eux-mêmes le reconnaissaient depuis le départ : difficile de prendre la température de l’opinion quand on ne sait pas précisément quels électeurs vont voter. La plupart des études publiées avant la primaire à droite (qui était une première) ont composé avec cette incertitude en ne retenant que les réponses des sondés se disant absolument certains d’aller voter.
La forte participation, au-delà de la barre des 4 millions de votants (9 % du corps électoral), dépasse les estimations, mais dans des proportions limitées. BVA tablait récemment sur environ 4 millions d’électeurs, Kantar Sofres/OnePoint partait sur une hypothèse à 3,9 millions, Ipsos Sopra Steria évaluait le potentiel de participation entre 7 et 8 % du corps électoral… OpinionWay fait partie des rares instituts à avoir sous-estimé la mobilisation, la situant autour de 2,6 millions à 3 millions de participants.
L’explication du large succès de François Fillon ne semble de toute façon pas tenir dans le seul nombre de votants. Un récent sondage Kantar Sofres/OnePoint donnait le candidat à des niveaux similaires dans trois hypothèses de participation différentes, alors que le score de Nicolas Sarkozy variait plus fortement.
2. La percée de François Fillon anticipée, mais largement sous-estimée
Aucune étude n’a fait apparaître François Fillon en position de perturber le duel Sarkozy-Juppé avant novembre. Est-ce à dire que les mesures étaient complètement à côté de la plaque quand, en octobre encore, elles plaçaient l’ancien premier ministre loin derrière ses rivaux, voire derrière Bruno Le Maire dans de nombreux cas ? Pas forcément selon les sondeurs : un sondage n’est pas une « prédiction », mais une « photographie de l’opinion à un instant T », arguent-ils régulièrement.
Les dernières enquêtes publiées avant le scrutin ont fait apparaître la « dynamique » de fin de campagne de manière assez nette, le score estimé de François Fillon passant d’environ 10 % à 13 % puis 20 % voire 25 %. Le Sarthois était même donné en tête avec 30 % devant Nicolas Sarkozy et Alain Juppé (29 %) dans un dernier sondage Ipsos pour Le Monde le 18 novembre, au lendemain du troisième débat.
Ces sondages n’ont néanmoins pas perçu, ou largement sous-estimé, au moins trois phénomènes. D’abord, l’importance de la dynamique en faveur de François Fillon. Un basculement d’un « duel » Sarkozy-Juppé vers un « match à trois » Sarkozy-Juppé-Fillon, dans un mouchoir de poche, a certes été observé. Mais ils n’ont pas vu venir l’échappée solitaire de l’outsider : l’ex-premier ministre dispose à l’arrivée de plus de 15 points d’avance sur Alain Juppé (44,1 % contre 28,6 %) et même près de 24 points sur Nicolas Sarkozy (20,6 %).
Par ailleurs, aucune étude n’a noté un effondrement de Nicolas Sarkozy. Les derniers sondages ont fait apparaître la manière dont le vote Juppé souffrait de la « dynamique Fillon ». Mais Nicolas Sarkozy semblait quant à lui relativement préservé de ces mouvements. Il a finalement perdu près de dix points par rapport à son score estimé, à quelques jours du scrutin.
Enfin, dans une moindre mesure, les sondages ont globalement surestimé le score des autres candidats, au détriment de François Fillon. Une tendance qui s’explique au moins en partie par une forme de vote utile, à partir du moment où l’ordre d’arrivée au premier tour devenait plus incertain.
3. Des électeurs finalement pas si « sûrs de leur choix »
Les limites des sondages sur la primaire ont été régulièrement mises en avant, tout au long de la campagne, y compris par les instituts eux-mêmes. On savait notamment qu’au moins trois grands facteurs appelaient à relativiser leur portée. D’abord, les traditionnelles « marges d’erreur », conséquence de l’imprécision de toute mesure de l’opinion.
Ensuite, les incertitudes sur la participation. Le nombre de votants n’a pas surpassé les attentes de manière spectaculaire. Mais on ne sait pas dans quelle proportion ceux qui disaient être sûrs d’aller voter sont bien allés voter, et inversement.
Enfin (surtout ?), l’indécision des électeurs. Contrairement à un scrutin traditionnel, une primaire comme celle de la droite se situe au sein d’une même famille politique. Les programmes des candidats se rejoignaient sur bon nombre de grands sujets, ce qui explique qu’on peut beaucoup plus facilement passer, par exemple, d’un vote pour Alain Juppé à un vote pour François Fillon que d’un vote écologiste à un vote Front national. Un phénomène vraisemblablement décuplé par le fait qu’il a fallu attendre la dernière ligne droite de la campagne, et notamment les débats télévisés, pour entrer dans le vif du sujet.
Les sondages ont essayé de faire apparaître cette donnée, en demandant aux électeurs si leur choix était « définitif ». Ces derniers semblent néanmoins largement surévaluer leurs certitudes… 66 % des électeurs « certains d’aller voter » disaient à Ipsos avoir fait un choix « définitif » en septembre, puis même 83 % vendredi 18 novembre.
Pour savoir vers qui pourraient se tourner les indécis, les sondés ont également été interrogés sur leur « second choix » lors du sondage précédent d’Ipsos, réalisé du 8 au 13 novembre : François Fillon apparaissait alors comme un recours récurrent chez les électeurs de droite, mais pas dans des proportions écrasantes. Sur les sondés dont le choix était « non définitif », 48 % de ceux qui avaient Alain Juppé comme premier choix disaient envisager de voter pour le député de la Sarthe s’ils changeaient d’avis. Une proportion qui descendait à 43 % chez les indécis favorables à Nicolas Sarkozy et seulement 23 % chez ceux favorables à Bruno Le Maire. A l’inverse, 88 % des électeurs potentiels d’Alain Juppé et 84 % de ceux de Nicolas Sarkozy disaient leur choix « définitif » à une dizaine de jours du vote.
Le basculement de la primaire à droite en faveur de François Fillon s’explique vraisemblablement, au moins en partie, par une indécision bien plus importante que prévue au sein de l’électorat. Ce qui souligne en creux les limites des sondages : qu’autant d’électeurs attendent les dernières heures d’une campagne pour faire réellement leur choix appelle à relativiser des enquêtes publiées des années, des mois ou même quelques semaines avant un vote.