François Fillon, alors premier ministre, et Angela Merkel, en mars 2011 à Meise, près de Bruxelles. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Du soulagement, de l’espoir et quelques inquiétudes. Tels sont les sentiments qui dominent, en Allemagne, à en juger par la tonalité générale de la presse, deux jours après le premier tour de la primaire de la droite, qui a qualifié François Fillon et Alain Juppé pour le second tour.

Le soulagement, c’est d’abord celui de la défaite de Nicolas Sarkozy. Ces dernières semaines, la campagne de l’ancien président de la République avait suscité des jugements sévères en Allemagne. « Il déborde désormais Marine Le Pen sur sa droite », avait ainsi écrit l’hebdomadaire libéral Die Zeit, dans son édition du 29 septembre. Un mois plus tôt, le quotidien de gauche Die Tageszeitung avait qualifié l’ancien chef de l’Etat de « Trump à la française ».

Son élimination, dimanche 20 novembre, n’a pas seulement réjoui la presse de gauche. « Nicolas Sarkozy a été brutalement mis hors-jeu. L’ancien président a mené une campagne aussi erratique que cynique. Seuls ceux qui font les délicats peuvent encore voir une différence entre son discours et celui de Marine Le Pen », s’est par exemple félicité, lundi, le quotidien conservateur Die Welt.

Fillon, « un homme de la France traditionnelle »

Dans une Allemagne où la perspective d’une victoire de la présidente du Front national à l’élection présidentielle de mai 2017 est considérée par beaucoup comme une hypothèse crédible, et ce encore plus depuis l’élection de Donald Trump, c’est d’abord ainsi qu’a été interprété le résultat du premier tour de la primaire : comme la preuve que les Français ne souhaitent pas, au fond, céder à la tentation du « populisme », un populisme dont Nicolas Sarkozy est volontiers vu, outre-Rhin, comme un porte-drapeau, et face auquel François Fillon – qui n’est « ni un Margaret Thatcher ni un Donald Trump à la française mais un homme de la France traditionnelle des villages et des petites villes », selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung – apparaît, à l’inverse, comme un rempart.

« Dans des temps où tout le monde parle de la marche triomphale du populisme, le fait qu’un homme caractérisé par son calme, son refus de céder de façon débridée au populisme et ses idées réalistes soit sur le point d’être désigné comme candidat à la présidentielle par les conservateurs, est un signe encourageant », écrit Die Welt.

« Fillon a en main la possibilité de faire barrage à la vague populiste. Les primaires de la droite montrent qu’un parti démocratique peut mobiliser le cœur de l’électorat », observe, de son côté, le quotidien économique Handelsblatt. « Cet homme doit sauver l’Europe de Le Pen », résume, de façon lapidaire, l’hebdomadaire Der Spiegel.

Du soulagement, donc, mais aussi de l’espoir. Car pour une grande partie de la presse allemande, l’élimination de « M. 10 000 volts » et la probable qualification de « M. Terne » – deux expressions utilisées ces derniers jours par les journaux pour désigner MM. Sarkozy et Fillon – montrent peut-être aussi que Paris est enfin prête à accomplir, sur le plan économique, les « réformes » souhaitées par Berlin et par Bruxelles.

« Fillon, comme président ne serait pas le pire. Avec lui, la France pourrait faire quelques-unes des réformes qu’elle doit absolument réaliser pour redevenir compétitive », écrit ainsi Die Welt. Des réformes que le gouvernement d’Angela Merkel et les milieux économiques allemands reprochent à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir faites, et qu’un François Fillon « aux nerfs solides », comme le décrit Der Spiegel, aura le « courage » de mettre en œuvre.

« La faiblesse de la France paralyse la coopération franco-allemande »

Vue d’Allemagne, cette ambition réformatrice dont est volontiers crédité l’ancien premier ministre est saluée pour les conséquences positives que pourrait avoir une telle politique sur le couple franco-allemand et à l’échelle européenne. « Nous devrions tous souhaiter qu’il réussisse, car la faiblesse de la France paralyse la coopération franco-allemande et bloque l’Union européenne sur de nombreux plans. Fillon est un proeuropéen », note ainsi le quotidien Rheinische Post.

Pour Claire Demesmay, responsable d’un programme de recherche sur les relations franco-allemandes à la Deutsche gesellschaft für auswärtige politik, un think tank allemand spécialisé dans l’étude des relations internationales, si « tous ces commentaires sont révélateurs de la façon dont l’Allemagne voit la France, ils ne sont pas non plus exempts de malentendus ».

« En Allemagne, on imagine volontiers qu’une France qui fera des réformes sera nécessairement une France plus européenne. A partir de là, tout homme politique présenté comme réformateur est vu a priori comme un partisan de l’intégration européenne, alors que les choses sont en fait plus compliquées que cela : François Fillon veut peut-être réformer l’économie française, mais c’est un partisan de l’Europe des nations, et sa vision de l’Union européenne n’est pas exactement celle des Allemands », note Mme Demesmay.

La « Süddeutsche Zeitung » réservée

Autre source potentielle de malentendu avec les Allemands, selon la chercheuse, la politique étrangère de François Fillon, et en particulier sa vision de la Russie. Depuis lundi, la presse allemande y a fait allusion, sans pour autant consacrer à ce point de longs développements. « Sa sympathie pour la Russie de Vladimir Poutine pourrait se révéler problématique », a par exemple écrit le Rheinische Post. François Fillon peut certes être « un partenaire prévisible du gouvernement fédéral », mais à condition qu’il « corrige son étrange mansuétude à l’égard de la politique du Kremlin en Ukraine », écrit pour sa part Die Welt.

Parmi les grands quotidiens nationaux allemands, seule la Süddeutsche Zeitung s’est en réalité montrée, depuis lundi, véritablement réservée à l’égard du probable vainqueur de la primaire de la droite française : « Fillon, qui est pour l’instant célébré comme un honnête réformateur, pourrait être la victime son courage, écrit le quotidien munichois de centre gauche dans son édition de mardi. Et cela pourrait conduire à un cauchemar politique. Pour Marine Le Pen comme pour Jean-Luc Mélenchon, Fillon incarne l’ennemi idéal : l’un et l’autre vont faire du candidat républicain l’agent de Bruxelles, l’homme du grand patronat et le valet du capital. Pour battre Marine Le Pen en mai 2017, Fillon n’aura pas seulement besoin de force. “Monsieur Nobody” va devoir révéler ses talents de tribun. Autrement, la France n’aura eu seulement qu’une victoire à la Pyrrhus, et le pire pourrait être devant elle. »