Hery Rajaonarimampianina, 58 ans, a été élu en janvier 2014 président de Madagascar au terme d’une période d’instabilité politique qui a duré de 2009 à 2013. Il dirige l’un des pays les plus pauvres de la planète où, selon la Banque mondiale, 90 % des habitants vivent avec moins de 3,10 dollars par jour et où la famine menace actuellement 1,4 million d’habitants dans le sud du pays.

Mis au ban de la communauté internationale, Madagascar, qui s’était vu retirer l’organisation du Sommet de la francophonie en 2010 après un coup d’Etat, a organisé les 26 et 27 novembre la XVIe édition de cette organisation qui compte 80 pays ayant la langue française en partage. Le président Hery Rajaonarimampianina revient sur les retombées de ce sommet.

Après avoir été exclu plusieurs années de la communauté internationale, votre pays vient d’accueillir le XVIe Sommet de la francophonie. Voyez-vous ce retour dans le concert des nations comme une réhabilitation ?

Hery Rajaonarimampianina C’est une consécration pour Madagascar qui avait été sanctionné et mis au ban de l’Organisation internationale de la francophonie, notamment. C’est un retour de Madagascar sur la scène internationale que la stabilité du pays a autorisé. Celle-ci s’acquiert et se travaille tous les jours, mais elle est nécessaire pour asseoir un véritable développement économique et social.

Quels défis fallait-il relever pour organiser ce sommet ?

Des médias ont dit que le sommet n’aurait pas lieu, mais on a tenu le pari. Je rappelle qu’en 2010, à cause de la crise, il n’avait pas pu se dérouler ici [le sommet avait été déplacé à Montreux, en Suisse]. Dans l’organisation, tout a constitué un défi et pas seulement la sécurité. Il y avait notamment les infrastructures à mettre en place tout en respectant le thème de ce sommet : croissance partagée et développement responsable.

La croissance partagée fait référence aux catégories qui sont exclues des richesses. Une partie de la population s’est justement sentie exclue de ce sommet et a manifesté son mécontentement.

On a reçu ce sommet avec ce qu’on a et, surtout, avec ce qu’on est. On a réhabilité le site [le Centre de conférence international], des routes ont aussi été construites et elles vont permettre d’améliorer la circulation dans la capitale car la population se plaignait des embouteillages. Une partie a été réalisée, le reste suivra. Tout cela est destiné aux Malgaches et ne servira pas uniquement le temps du sommet.

Quel type de solidarité attendez-vous de la communauté francophone, sachant que la population de votre pays s’impatiente ?

Quand on lutte contre la pauvreté, on doit d’abord compter sur ses propres forces nationales. Il faut sensibiliser la population, lui expliquer que la cause est politique et qu’elle est liée aux longues périodes d’instabilité qu’elle a traversées. Il faut avant tout de la stabilité.

Mais il est vrai qu’on ne peut pas développer le pays tout seul. Après tant d’années, il faut donc l’appui de la communauté internationale mais aussi des partenariats, notamment privés et d’origine étrangère, pour développer de l’aide.

Vous êtes arrivé au pouvoir il y a quasiment trois ans. Concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis votre élection ?

En janvier 2014, le chiffre de la pauvreté et de l’extrême pauvreté était de 92 %. Je suis parti de cette situation, dans un pays sanctionné et qui ne percevait plus aucune aide. Au moment où nous avions le plus besoin de moyens, on n’en avait plus ! Mais on n’a pas baissé les bras pour autant puisque je suis allé voir les pays pour lever les sanctions et obtenir des moyens.

Nous avons donc effectué des actions sociales au niveau de l’éducation, de la santé. On a amélioré l’accès à l’école, on a lancé des cantines scolaires. On a aussi mis en place une politique de protection sociale pour financer le retour d’enfants à l’école. Voilà des actions concrètes. On a distribué cette année 4,5 millions de kits scolaires.

Dans le sud du pays, 1,4 million de personnes sont aujourd’hui menacées par la famine. Qu’allez-vous faire ?

Je rappelle que, dans le sud, la situation est chronique depuis quelques années, et que cette partie du pays a été délaissée [des pouvoirs publics] pendant des décennies. Face à cette situation de famine qui découle également des changements climatiques et d’El Nino, j’ai préconisé des mesures qui se déclinent à court terme et d’autres plus structurantes, comme la construction de routes qui seront nécessaires pour accéder aux lieux les plus enclavés.

Les 1er et 2 décembre, à Paris, aura lieu le Sommet des donateurs où vous serez présent. Face à toutes les urgences que vous devez affronter, laquelle allez-vous soutenir devant les bailleurs de fonds ?

Il faut savoir que 80 % de la population malgache travaille dans le secteur agricole. Or l’agriculture de mon pays est archaïque, orientée vers l’autosubsistance. La productivité est donc très basse. Mon objectif est d’amener cette agriculture vers une agriculture de marché. Les marchés sont là ! Il y a dans l’océan Indien un déficit en produits alimentaires, et notre secteur agricole doit donc s’adapter à ces marchés qui sont très prometteurs. L’agriculture est la priorité quand l’urgence est partout. Viennent ensuite l’éducation et la santé.

Tout cela débouchera-t-il vers un nouveau pays ?

Il est déjà en marche dans le domaine de l’éducation, de la santé. La population s’impatiente mais on ne peut pas tout résoudre en une journée. Des crises se sont incrustées dans la société depuis cinquante ans ! Aucun président ne peut se présenter comme le Messie.

Pour ma part, je ne sais pas si je me présenterais aux élections de 2018. Ma seule ambition est aujourd’hui de travailler au développement de Madagascar.

Que répondez-vous aux accusations portées contre Madagascar au sujet de la corruption qui gangrène l’économie et la politique du pays ?

Dès mon investiture, et même avant, j’ai fait de la lutte contre la corruption ma priorité. C’est grâce à cette lutte que je veux amener la bonne gouvernance dans mon pays. La pauvreté est évidemment un terreau fertile à la corruption, c’est pourquoi il faut aussi la combattre en mettant en place des structures pour un développement économique et une croissance durable.

Madagascar a été pointé du doigt parce qu’il ne participait pas à la lutte contre le trafic du bois de rose, dont le commerce est réglementé. On dit même qu’une liste de hauts responsables serait en votre possession mais qu’aucune disposition n’est prise…

Il faut du discernement. Ce n’est pas parce qu’on vous donne une liste qu’il faut croire ce qu’il y a dessus. Laissons la justice faire son travail et enquêter. Je peux quand même vous dire que Madagascar, qui s’était engagé à seulement réduire ses exportations de bois de rose, n’en a pas exporté cette année. [Madagascar a l’interdiction d’exporter du bois de rose depuis 2013 dans le cadre de la Convention sur le commerce international d’espèces menacées d’extinction (CITES)]

Une loi sur le code de la presse a été promulguée cet été. L’Union de la presse francophone s’est émue du contenu de cette loi jugée par certains comme liberticide.

Je vous engage à relire cette loi et à faire une analyse comparative par rapport à celles qui régissent la presse dans d’autres pays, y compris ceux qui se disent libres. Nous avons au contraire dépénalisé l’emprisonnement pour les journalistes, dont certains ont participé à l’élaboration même de cette loi. L’Etat y a fait des ajouts concernant sa propre responsabilité, notamment dans le domaine de l’ordre public. On a eu un espace de discussion pendant dix-huit mois.

La presse malgache est donc libre ?

Oui, et vous ne pouvez pas dire le contraire ! Regardez sa pluralité, le nombre de quotidiens, de radios…

Mais comment voulez-vous que des journalistes enquêtent sur la corruption s’ils peuvent être radiés par les autorités ?

La première négociation que nous avons eue portait sur l’abolition de l’emprisonnement pour les journalistes et nous l’avons acceptée. Je profite de l’occasion pour rappeler que c’est moi qui ai aboli la peine de mort à Madagascar.

Sur le plan culturel, politique ou celui des infrastructures, qu’est-ce qui va rester de ce Sommet de la francophonie ?

Je pense qu’il y a un élan qui s’est créé pendant ce sommet. J’espère maintenant qu’il va se poursuivre et être utilisé par chaque Malgache au service du développement. Quant aux infrastructures, elles vont rester. Des organisations souhaitent déjà utiliser le Centre de conférence international l’année prochaine.