Vingt-cinq ans de lutte contre la détention arbitraire, en Afrique aussi
Vingt-cinq ans de lutte contre la détention arbitraire, en Afrique aussi
Par Marie Maurisse (Genève, correspondance)
Le Groupe de travail des Nations unies donne l’alerte et accélère parfois la libération de personnes maintenues en prison sans preuves ni charges.
Le 15 décembre 2004, le commerçant marocain Hamo Hassani est arrêté près de chez lui, à Nador, par des hommes des services de renseignement habillés en civil. Peu après, il apprend qu’il est accusé de trafic d’armes, puis de complicité de meurtre. Il conteste ces faits, mais signe finalement des aveux sous la torture. Il est finalement condamné, après un procès sans preuves et à charge, à quinze années de prison. Dans un avis publié il y a un mois, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire affirme que l’emprisonnement de Hamo Hassani est arbitraire et demande sa libération immédiate.
Depuis près de trois ans, l’organisme onusien a rendu plusieurs milliers d’avis semblables, évalue le juriste Béninois Roland Adjovi, son président. Aucun chiffre précis n’est disponible, dans la mesure où aucun registre n’a été constitué pour le moment. Les Etats auraient vu d’un mauvais œil la sortie d’un « classement » des pays qui pratiquent le plus la détention arbitraire… Mais cela devrait changer dans les mois à venir, avec la mise en place d’une procédure de suivi. L’influence de l’institution internationale s’est accrue ces dernières années. Crée en novembre 1991 à l’initiative de la France, le Groupe de travail est constitué de cinq experts indépendants et bénévoles, représentants des principales régions du monde. Son mandat, établi par le Conseil des droits de l’homme, est renouvelé tous les trois ans.
Terrorisme et « printemps arabes »
Le Groupe fêtait donc son 25e anniversaire, lundi 28 novembre, au Palais des nations à Genève. L’ambassade de France était l’invitée d’honneur. Trois victimes de détention arbitraire, libérées grâce à l’action du Groupe de travail, étaient mises en avant. Le Franco-Camerounais Michel Thierry Atangana, qui a passé dix-sept ans dans une geôle camerounaise sans motif juridiquement valable, a été libéré quelques semaines après que le Groupe de travail a jugé sa détention arbitraire. Son état de santé ne lui a pas permis de venir à Genève afin de témoigner comme il l’aurait souhaité, mais son avocate l’a fait pour lui, rappelant à quel point l’organisme onusien avait un rôle fondamental dans la lutte pour le respect des droits humains dans le monde.
Selon son président, Roland Adjovi, le mandat de cette institution a beaucoup évolué, car il prend aussi en compte aujourd’hui la détention des migrants. « Les types de violation ont aussi changé, explique-t-il. Par exemple, les cas de détention arbitraire liés au terrorisme sont plus nombreux. Les “printemps arabes” ont aussi multiplié les affaires. » En Egypte, le photojournaliste égyptien Mahmoud Abou Zeid a été arrêté en 2013 sur la place de Rabaa alors qu’il couvrait une manifestation dans le cadre de son travail. Il est depuis emprisonné au Caire et son état de santé est critique, car il souffre d’une hépatite C.
Parmi tous les cas évoqués par le Groupe de travail se trouvent nombre d’Africains. Fin octobre, l’institution considérait ainsi comme arbitraire la détention d’Abdelkader Belliraj, au Maroc, arrêté à Marrakech en 2008. Selon ces experts, dix-sept membres du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), en République démocratique du Congo (RDC), sont également maintenus abusivement derrière les barreaux. Même avis en ce qui concerne un groupe de Soudanais liés à l’organisation TRACKS (Khartoum Centre for Training and Human Development), qui est notamment active pour les droits humains au Soudan.
« Notre travail dérange les Etats »
Le Groupe de travail est directement saisi par les victimes, leurs proches, leur avocat ou les ONG de défense des droits humains qui font connaître leur situation. Des experts analysent la centaine de plaintes que le Groupe reçoit tous les mois et écrivent au pays concerné pour lui permettre de s’expliquer sur les cas suspectés. En moyenne, un Etat sur trois répond aux requêtes du Groupe de travail. Après l’étude approfondie du dossier, ces experts, qui se réunissent trois fois par an à Genève, remettent leurs conclusions. « Notre travail dérange les Etats », affirme Roland Adjovi. Ainsi il n’est pas rare que certaines décisions soient controversées. Ce fut le cas pour Karim Wade, homme politique sénégalais condamné en 2015 pour « enrichissement illicite et complicité », dont l’incarcération a été jugée arbitraire par le Groupe de travail des Nations unies. Cet avis avait été violemment attaqué par les autorités sénégalaises. Mais Karim Wade a finalement été libéré en juin. Il réside désormais au Qatar.
Même si les avis du Groupe n’ont aucun caractère contraignant, ils ont un fort pouvoir symbolique, car ils s’appuient sur le droit international, que les Etats sont censés respecter. Une recommandation du Groupe de travail peut peser sur leur réputation et précipite parfois la libération d’un détenu. Pour Roland Adjovi, « quand le Groupe fait le constat qu’une situation correspond à une détention arbitraire, cette conclusion s’impose, sans voie de recours, estime-t-il. Les Etats estiment qu’il s’agit de recommandations. Je ne le pense pas dans la mesure où nous nous appuyons sur des traités internationaux que les Etats se sont engagés à respecter. »