Le numérique ne dicte pas sa loi dans les amphis de droit
Le numérique ne dicte pas sa loi dans les amphis de droit
LE MONDE ECONOMIE
La place des nouvelles technologies, qui bouleversent les professions juridiques, reste limitée dans les cursus qui y mènent.
Des étudiants suivent un cours de Droit, le 04 mars 2004 dans un amphitéâtre de l'Université Lyon-III., en 2004. | FRED DUFOUR / AFP
Pas une seule fois les mots start-up juridique ou legaltech n’ont été prononcés pendant mon cursus. En révisant pour l’examen du barreau, j’ai aussi pu constater qu’il n’y avait aucune matière liée aux nouvelles technologies. » Justine Ampen, 23 ans, vient de réussir un master 2 droit du commerce électronique et de l’économie numérique à l’université Panthéon-Sorbonne. « Quand j’ai commencé mes études, j’avais l’impression de pénétrer dans un monde ancien où un étudiant mort il y a cent ans aurait eu la même formation que moi », appuie Benjamin Soroste, qui a obtenu le même diplôme.
« On s’intéresse davantage à la façon dont le droit appréhende les nouvelles technologies, et pas à comment ces technologies l’impactent », explique de son côté Bassel Malakani, diplômé du master 2 droit des activités numériques de l’université Paris-Descartes.
A entendre ces étudiants, l’incursion du numérique et des nouvelles technologies semble limitée dans leurs cursus, même lorsqu’ils sont spécialisés dans le droit de ces dites nouvelles technologies. Pour parler de la « révolution numérique » qui affecte les cabinets d’avocats, le notaire ou le juriste d’entreprise, les étudiants se sentent parfois désarmés et peu préparés.
« Savoir se servir des nouvelles technologies »
Benjamin Soroste s’est débrouillé seul quand il a lancé Good Fellaws, sa start-up juridique, début 2016. « J’ai dû intégrer un incubateur à la Web School Factory [école des métiers du Web], où j’ai pu suivre des cours de marketing, de communication et de management. Il y a plein de gens en école de commerce qui se lancent dans des start-up juridiques, pourquoi pas nous ? »
Peut-être parce que le droit est encore l’une des disciplines les plus traditionnelles que compte l’université.« Les études de droit sont très lourdes. Un étudiant bien formé a suivi des enseignements dans un très grand nombre de branches du droit. Il faut du temps pour former une analyse juridique rigoureuse et précise », explique Jérôme Passa, avocat et directeur du très réputé master 2 droit du multimédia et de l’informatique de Panthéon-Assas. Quand on lui demande s’il faut enseigner la programmation informatique ou la création d’entreprise aux étudiants en droit, il répond par un argument imparable : « Pas besoin d’être médecin pour être un spécialiste du droit de la santé. »
Céline Castets-Renard, professeur à l’université Toulouse-Capitole et spécialiste en droit du numérique, s’inscrit en faux : « Nos juristes en master 2 droit du numérique reçoivent des cours d’informatique et des technologies de l’information. C’est une nécessité absolue pour eux de comprendre l’environnement dans lequel ils vont travailler mais aussi de savoir se servir des nouvelles technologies. »
« Avocats-codeurs »
Une double compétence appréciée par les cabinets d’avocats qui veulent des diplômés à la tête bien formée et… bien pleine. « Les têtes de promo en droit sont presque toujours des cumulards. Ils ont fait Sciences Po ou une école de commerce », indique Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris. Les frères Wagner, fondateurs de Captain Contrat – qui permet aux PME d’obtenir des documents juridiques sans passer par un cabinet d’avocats –, sont des diplômés d’HEC, de l’Essec et de Centrale Paris, et non des alumni des masters 2 d’Assas.
Le cabinet Bensoussan, spécialiste en droit du numérique, assume lui aussi sa politique de recrutement. « On sait que les étudiants qui ont réussi à être sélectionnés dans les cinq masters 2 du numérique très sélectifs en France sont déjà excellents. Nous nous servons de cette présélection faite par l’université, puis nous vérifions qu’ils savent parler anglais et qu’ils sont geek. Si en plus ils savent coder, on leur déroule le tapis rouge », dit Alain Bensoussan, qui a constitué une équipe « d’avocats-codeurs » dans son cabinet. Une nouvelle féodalité, selon lui, qui pourrait vite rivaliser avec celle des « avocats Sciences Po » et les « avocats du barreau de New York ».