A Dakar, le « do it yourself » pour pallier la lenteur de l’électrification et autres petits désagréments
A Dakar, le « do it yourself » pour pallier la lenteur de l’électrification et autres petits désagréments
Par Matteo Maillard (Dakar, envoyé spécial)
Traversée d’une Afrique bientôt électrique (23). Avec Dodji et Modou dans leur « fab lab », ou les deux touche-à-tout veulent démocratiser l’imprimante 3D et les solutions locales.
Ils ont la concentration fiévreuse du laborantin et l’application consciencieuse de l’artisan à son établi. Dodji Honou, 31 ans, et Mouhamadou Ngom, 46 ans, sont les piliers d’un des fab labs les plus innovants du Sénégal. Le Defko Ak Nëp qui veut dire en wolof « fais-le avec tout le monde ». Depuis la création de cet atelier numérique en 2014, ils en ont engagé des projets : éolienne domestique, panneau solaire recyclé, ou balançoire interactive, « nous explorons toutes les pistes, lance Dodji. Nous sommes comme un laboratoire qui transforme les idées en réalisations concrètes et durables. »
Logé dans le quartier de la Sicap au cœur de Dakar, ce laboratoire technologique est né de la volonté de l’association culturelle Kër Thiossane. « L’objectif était d’avoir un espace de partage, d’innovation et de fabrication numérique pour développer des projets participatifs avec les habitants du quartier, artisans, étudiants, commerçants ou artistes, et leur permettre grâce à ces technologies de changer leur environnement et d’accéder plus facilement à une énergie indépendante », explique Dodji. Une vision qui respecte le concept originel du fab lab (pour laboratoire de fabrication) comme il a été imaginé à la fin des années 1990 au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis. Dodji résume : « Offrir aux gens les outils et les machines, numériques et mécaniques, pour leur permettre d’inventer et de répondre à leurs projets personnels comme à des défis écologiques ou économiques. »
Modou et Djouri sont en train de câbler quelques LEDs. | Matteo Maillard
Imprimantes 3D, électronique et tournevis
Lui est fab manager et connaît le milieu depuis longtemps. Après des études en marketing à Lomé, capitale du Togo, il y a géré l’un des fab labs les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest pendant plusieurs années. C’est en postulant à un appel à candidatures lancé par l’association à travers le programme de volontariat international de la francophonie qu’il a été sélectionné. Il a commencé par commander le matériel nécessaire à l’atelier via des sites chinois. Aujourd’hui, celui-ci est truffé de machines à commandes numériques. « Celles que l’on utilise sont semblables à tous les labos, explique Dodji. L’imprimante 3D est un peu l’arbre qui cache la forêt, la machine la plus connue du grand public. Mais nous utilisons surtout la CNC qui permet de faire des découpes et des gravures sur bois de manière automatisée, ensuite une découpe laser qui creuse différentes matières et bien sûr beaucoup d’électronique, comme des cartes Arduino pour programmer des actions simples. »
En plus de ce matériel de pointe, on trouve aussi une boîte à outils plus commune avec marteaux, tournevis, perceuse, fraiseuse, fer à souder, etc. Ce domaine est la prérogative de Mouhamadou, dit Modou, l’animateur du lab. « Je suis un ancien électronicien populaire. Je réparais des radios et des magnétoscopes dans les années 1990, lance-t-il. J’ai appris l’électronique en traînant dans les ateliers puis en suivant des petites formations. » Pour utiliser leurs nouvelles machines, Modou comme Dodji se sont « autoformés sur Internet, glisse le dernier. Ce qui est intéressant dans le réseau de l’open source et des fab labs, c’est que tout le monde partage son savoir via des tutoriels qui incitent à la pratique. Nous avons alors pour devoir de redistribuer ce savoir. »
Hormis les machines à commandes numériques, il y a aussi des outils plus classique dans le Fablab. | Matteo Maillard
Impératif moral qu’ils appliquent à la lettre en organisant des ateliers d’initiation chaque mois. « Nous apprenons la soudure aux enfants, à faire des petits montages électroniques, à sculpter et à imprimer des objets en 3D, explique Modou. Nous travaillons aussi avec des individus ou des start-up qui veulent concrétiser leurs projets. » Comme cette entreprise qui cherche à construire un biodigesteur. C’est une sorte de composteur domestique qui prend la forme d’un bac hermétique de 40 litres, dans lequel on verse ses déchets organiques qu’on laisse fermenter. « Cela produit du méthane qui peut ensuite, à l’aide d’un tuyau, être utilisé comme gaz pour alimenter des plaques de cuisson ou un chauffage, explique Dodji. Le projet n’est pas encore totalement au point, il y a des fuites, mais on y travaille. »
Modou travaille sur son prototype de panneau solaire. | Matteo Maillard
Le lab est aussi l’occasion pour les deux compères de réaliser leurs propres projets énergétiques. Ainsi, lors de l’événement Afropixel organisé par l’association Kër Thiossane en avril 2016, Modou et Dodji ont réalisé plusieurs prototypes dans l’optique de voir les Sénégalais se réapproprier l’énergie qu’ils consomment. En est sorti un concept d’éolienne domestique. Pales découpées dans du PVC, aimants de la casse, batterie 12 volts et petit moteur issu pas à pas d’une vieille imprimante. « Elle permet d’alimenter quelques LED et d’éclairer une chambre pour un prix modique », avance Modou. Il en a même réalisé une version plus grande qui active une pompe arrosant un jardin communautaire que l’association a construit dans le quartier. Les habitants peuvent alors bénéficier, sans frais d’électricité, d’un potager urbain qui produit goyaves, mangues, bananes, piments et citrons.
A côté de ce jardin luxuriant situé dans une cour d’immeuble, l’association a aménagé un terrain de jeu pour les enfants du quartier. Là où il n’y avait avant qu’un dépotoir, ils ont installé une balançoire interactive. « Les enfants jouent et leurs mouvements génèrent de l’électricité qui alimente des LED sur la balançoire et des lampadaires illuminant l’aire de jeu, relève Modou. Cela offre une plus grande sécurité la nuit tombée. » Malheureusement cette balançoire, créée avec l’appui d’ingénieurs madrilènes issus du Réseau universitaire des fab labs, a dû être démontée un mois plus tard par crainte du vol de matériel dans ce lieu pas suffisamment sécurisé par les autorités. « Nous attendons de la mairie et des habitants du quartier qu’ils se chargent aussi de cet espace qui est le leur, poursuit-il. Nous ne pouvons pas surveiller en permanence les enfants qui jouent. Nous ne voulions pas être tenus responsables s’il leur arrivait quelque chose. »
Dans le Fablab, outils électoniques et mécaniques se mélangent. | Matteo Maillard
Sortir d’une attitude passive et dépendante
As de la bidouille et de la débrouille, Maudou a aussi créé six prototypes de panneaux solaires domestiques. Un morceau de Plexiglas récupéré, une plaque en bois, une batterie de 9 ampères (ou plus) et 24 cellules photovoltaïques commandées sur Internet : « Pour moins de 30 000 francs CFA [45 euros] et un peu de travail, vous pouvez recharger votre ordinateur portable, votre téléphone ou éclairer votre chambre avec une énergie propre, renouvelable et gratuite ! s’exclame-t-il. Un panneau comme ça bien protégé peut durer des années, si on évite de le laisser sous la pluie et si on essuie la poussière régulièrement. Tout le monde peut le faire à la maison ! »
Cette technologie, comme toutes celles qu’ils ont développées ou adaptées, Modou et Djoni en révèlent les plans gratuitement sur le Wiki de leur fab lab. « Nous voulons transmettre notre savoir et cette impulsion du “do-it-yourself” [“fais-le par toi-même”], avance Dodji. En Afrique, nous avons besoin de démystifier ces technologies pour que les gens puissent y avoir accès, embraye Modou. Tout le monde est capable de fabriquer son propre panneau solaire ou sa propre éolienne. Ce n’est pas compliqué et c’est bien mieux que d’acheter un kit solaire clé en main. Parce que le faire soi-même permet aux gens de saisir le fonctionnement d’une technologie et ainsi de se l’approprier pour ne plus en être dépendant. C’est aussi sortir de l’attitude passive du consommateur de technologie. »
Dans le jardin communautaire poussent toutes sortes de fruits et légumes. | Matteo Maillard
Djoni et Modou en sont convaincus. Le « do it yourselfIY » peut aider à l’électrification du continent. Non seulement en l’accélérant mais aussi en permettant aux Africains de maîtriser une technologie plutôt que la voir s’imposer à eux. Afin de diffuser la bonne parole, ils ont décidé de lancer dès 2017 un Fablab mobile afin d’atteindre les Sénégalais vivant loin de la capitale. « Mon rêve serait de voir une multitude de labs naître dans tout le pays, glisse Modou. Que dans ces ateliers communautaires les gens s’entraident, partagent leurs savoirs et leurs moyens afin de réaliser pleinement leur potentiel de développement. » Pour Modou et Dodji, ne reste qu’une évidence : l’électrification se fera par les petits circuits ou ne se fera pas.
La balançoire interactive est alimentée par les mouvements des enfants. | Elise Fitte Duval
A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.
Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique
A l’occasion de la COP22 qui s’est déroulée à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.