Dans l’est d’Alep : « On ne demande rien d’impossible, seulement d’arrêter le massacre »
Dans l’est d’Alep : « On ne demande rien d’impossible, seulement d’arrêter le massacre »
Par Hélène Sallon
Brita Hagi Hassan, président du conseil local de la partie orientale d’Alep, appelle à la mise en place de couloirs humanitaires sécurisés pour permettre à la population de fuir et éviter « un génocide ».
Les habitants d’Alep quittent leurs maisons en direction d’une zone contrôlée par les rebelles, lors d’une offensive de l’armée syrienne, le 30 novembre. | THAER MOHAMMED / AFP
L’étau se resserre sur les quartiers est d’Alep. Dans la deuxième ville syrienne, 250 000 habitants sont pris au piège de l’offensive lancée par le régime du président, Bachar Al-Assad, avec le soutien de la Russie et des milices chiites armées par l’Iran, pour reconquérir ces zones tenues par la rebellion depuis 2012.
De passage en France, Brita Hagi Hassan, élu en novembre 2015 président du conseil local de l’est d’Alep, une structure civile qui gère la fourniture des services publics dans les zones tenues par la rébellion, alerte sur la « catastrophe humanitaire » en cours et appelle à la mise en place de couloirs humanitaires sécurisés pour permettre à la population de fuir un « massacre orchestré » et éviter « un génocide ».
Quelle est la situation à Alep-Est ?
La situation à Alep est catastrophique, plus que cela même. C’est le 101e jour de siège pour 250 000 personnes, victimes d’un massacre orchestré avec tous les moyens imaginables. En novembre, il y a eu 1 550 bombardements, 750 barils explosifs tirés par des hélicoptères, plusieurs milliers d’obus, et le gaz chlore a été utilisé à cinq reprises. Aujourd’hui, les blessés ne peuvent plus être soignés car les hôpitaux ont été détruits. Les équipements publics ne fonctionnent plus car il n’y a plus d’électricité. Même les denrées de première nécessité ne seront bientôt plus fournies. Les déplacements sont devenus impossibles. Chacun attend la mort.
Le régime syrien mène une politique de la terre brûlée pour obliger l’est d’Alep à se rendre. Nous avons alerté à plusieurs reprises sur la catastrophe humanitaire. Tout le monde regarde, personne ne bouge. Le terrorisme de ce régime dépasse l’entendement. Ils disent combattre le terrorisme à Alep-Est mais ils ne bombardent que des civils. La seule partie qui combat Daech [acronyme de l’organisation Etat islamique] est l’Armée syrienne libre [ASL]. Le régime a commis deux massacres au cours des derniers jours qui ont fait 45 morts et 25 morts parmi les civils. En novembre, 790 personnes sont mortes, dont 118 enfants et 71 femmes.
Cette politique de la terre brûlée à permis au régime de reprendre un certain nombre de quartiers où il restait peu d’habitants. Parmi ceux qui sont restés, les hommes entre 18 et 40 ans ont été arrêtés et certains ont été enrôlés par l’armée. S’il y a le moindre soupçon que la personne a fait de la protection civile, elle est arrêtée ou son compte est réglé. Des camps ont été créés pour y mettre les femmes et les enfants.
Le sort d’Alep est-il désormais scellé ?
On peut dire que c’est fini. Le cas d’Alep se résume aujourd’hui à secourir une ville qui a été presque entièrement détruite — je ne sais pas s’il existe une ville qui a été autant détruite dans l’histoire — et à sauver 250 000 habitants qui sont menacés de génocide. Mais, le régime peut occuper Alep, la révolution continue. La révolution est une idée qui ne mourra pas. Quelle que soit la répression qu’opposera le régime, le peuple finira par vaincre. Quelle que soit l’injustice, la révolution triomphera.
L’expérience des conseils locaux continue dans toute la Syrie. Ils ont permis à la population de résister en lui donnant les ressources et les infrastructures pour le faire. C’est pour cela que le régime et la Russie bombardent les infrastructures de la société civile. Ces conseils locaux sont la plus grande menace pour le régime. Ils ont la légitimité de l’élection qu’il n’a pas.
La Russie a à nouveau mis mercredi son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant l’arrêt des bombardements sur les quartiers est d’Alep, pour permettre l’acheminement d’aide humanitaire et l’instauration de « couloirs » pour l’évacuation des 250 000 civils assiégés dans cette zone. Face à cette impasse au Conseil de sécurité avez-vous encore l’espoir qu’une solution diplomatique soit trouvée pour secourir la population d’Alep ?
La communauté internationale continue de regarder sans rien faire. Où sont les droits de l’homme ? Qu’est-ce que ce droit international qui s’est transformé en droit de tuer et de massacrer ? Qu’est-ce que ce Conseil de sécurité constamment paralysé par le veto russe ? La communauté internationale a même échoué à apporter un minimum d’aide et de secours à la population de l’est d’Alep. Même en ce qui concerne notre appel à l’ouverture d’un couloir humanitaire pour permettre aux habitants de fuir et faire entrer de l’aide humanitaire.
Aujourd’hui, notre dernier espoir est dans une solution hors du Conseil de sécurité. L’Union européenne peut et doit jouer un rôle. Elle reste trop en retrait derrière les Etats-Unis et la Russie. C’est une puissance économique qui doit prendre tout son rôle. Elle a, par le passé, pris des mesures qui ont eu des effets, comme les sanctions contre la Russie. Elle peut aussi prendre l’initiative d’envoyer de l’aide par les airs. Si la volonté existe, c’est possible. L’Union européenne a intérêt à le faire car elle est directement touchée par l’arrivée des migrants syriens.
Nous ne voulons pas que les peuples et les Etats interviennent militairement ou même arment les rebelles. Nous demandons seulement qu’une réponse humanitaire soit apportée. Les massacres perpétrés par le régime syrien contre la population civile ne font qu’amplifier le terrorisme. On a déjà eu 500 000 morts en Syrie. Qui veut prendre la responsabilité d’un nouveau génocide de 250 000 personnes ? On ne demande rien d’impossible, seulement d’arrêter le massacre.
La Russie a proposé jeudi l’ouverture de quatre couloirs sécurisés pour l’évacuation des civils. Que pensez-vous de cette proposition ?
Les quatre couloirs humanitaires proposés par la Russie visent essentiellement à diriger la population vers les zones contrôlées par le régime. Les habitants ne veulent pas y aller, car ils n’ont aucune confiance et craignent d’être arrêtés ou liquidés. Comment voulez-vous que celui qui tire et assiège la population inspire confiance ? Ce régime criminel a perdu toute sa légitimité. La Russie ne fait que louvoyer et continue à soutenir le régime. Les Russes eux-mêmes prétendent que ceux qui fuient font partie de l’ASL ou d’autres groupes armés. C’est de la propagande.
C’est pour cela qu’on insiste sur des couloirs humanitaires placés sous l’égide des Nations unies ou d’un organisme indépendant, qui offrent la liberté aux civils d’aller où ils le désirent. Ceux qui veulent aller vers les zones tenues par le régime seront libres de le faire. On demande également que de l’aide entre, ce que le régime refuse toujours.
Certains groupes rebelles ont été accusés d’empêcher des civils de fuir Alep. L’émissaire spécial des Nations unis, Staffan de Mistura, a fait mention de quelques cas. Qu’en est-il ?
Aucun groupe rebelle n’a empêché des civils de sortir. Cinquante mille habitants ont même pu aller de l’autre côté, dans les zones tenues par le régime.
Le régime syrien et la Russie justifient leur offensive par la lutte contre le terrorisme, arguant notamment de la présence des combattants djihadistes du Front Fatah Al-Cham (ex-Front Al-Nosra, lié à Al-Qaida) parmi la rébellion à Alep-Est…
Cette présence est très minime et n’a aucun impact. Ils ne sont pas plus de 200 à 300 personnes, le plus gros des combattants appartient à l’ASL. M. de Mistura a avancé le chiffre de 900 combattants de Fatah Al-Cham. Quand bien même ils seraient 900, cela justifie-t-il de liquider 250 000 personnes pour 900 combattants ?!