Sarajevo, quatre ans de bombes et de résistance
Sarajevo, quatre ans de bombes et de résistance
Par Yves-Michel Riols
« Le Siège », du grand reporter au « Monde » Rémy Ourdan et de Patrick Chauvel, raconte le quotidien des habitants de la capitale bosniaque assiégée, entre 1992 et 1996 (mardi 22 mars à 22 h 45 sur Arte).
Le siège, de Remy Ourdan - le 22 mars sur Arte
Durée : 01:17
« Le Siège », du grand reporter au « Monde » Rémy Ourdan et de Patrick Chauvel, raconte le quotidien des habitants de la capitale bosniaque assiégée entre 1992 et 1996.
Le martyre de Sarajevo est l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire européenne du XXe siècle. Pendant quatre ans, entre 1992 et 1996, la capitale de Bosnie-Herzégovine a été pilonnée et ravagée par les bombardements incessants de l’armée serbe, campée sur les hauteurs de la ville. Cette violence aveugle était autant destinée à semer la destruction que la terreur auprès des 350 000 habitants piégés dans cette cuvette infernale.
Pendant quatre ans, Sarajevo a subi le plus long siège de l’histoire moderne. Avec un bilan effroyable : 11 541 morts. Il y a ceux qui sont tombés sous les balles et ceux qui ont été fauchés par la faim, le froid et le désespoir. Rémy Ourdan, grand reporter au Monde, a été le témoin privilégié de cet épouvantable calvaire. Il avait 23 ans lorsqu’il est arrivé à Sarajevo, en 1992, et il a vécu l’intégralité du siège.
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Durée : 07:25
Mais, de lui, il n’est nullement question dans Le Siège, son premier film, qui a reçu le FIPA d’or 2016 du meilleur documentaire au Festival de Biarritz, en janvier. Ce récit, le fruit de plus de vingt ans de ruminations, est avant tout un témoignage universel sur la guerre et la résistance, dont le propos dépasse le cadre de Sarajevo.
Le Siège est aussi un hommage à la dignité et au courage de tous ceux qui ont résisté, jour après jour, à cette descente aux enfers. Tout en évoquant les multiples facettes de cette guerre, les quelque quarante témoins interrogés dans le film livrent avant tout une immense leçon d’humanité. Le Siège n’a pas pour ambition de documenter l’histoire de la guerre dans l’ex-Yougoslavie. D’autres l’ont déjà fait. Il va au-delà et explore les ressorts de la survie, lorsque l’on est exposé à l’extrême, à une violence inouïe, qui s’insinue dans tous les recoins de l’existence.
Une vue de Sarajevo assiégée. | GILLES PERESS/MAGNUM PHOTOS
Pour en arriver à ce résultat, il a fallu quatre ans de tournage et un travail de fourmi pour retrouver des centaines d’heures d’archives, dont beaucoup sont inédites. « Toute la ville y a contribué », rapporte Rémy Ourdan, qui n’a cessé de fréquenter Sarajevo depuis un quart de siècle. Le film commence par la bande-son glaçante de Ratko Mladic, le chef militaire des assiégeants serbes, qui ordonne à ses troupes de bombarder la ville sans discrimination : « Il faut les rendre fous… »
Absence de manichéisme
Ensuite, le documentaire raconte, pas à pas, les multiples facettes de la résistance à cette folie. La résistance militaire, totalement improvisée par la population. Il y a ces jeunes combattants, propulsés du jour au lendemain sur le front, qui se battent avec une arme pour trois. D’autres qui bricolent des bombes artisanales à base d’aérosols pour affronter des chars d’assaut. Et cette scène déchirante d’un habitant qui tente d’éteindre l’incendie d’un immeuble atteint par un obus à l’aide, dérisoire, d’un seau d’eau. La force du film tient à son absence de manichéisme, alors que la situation s’y prêterait aisément.
Les zones d’ombre ne sont pas passées sous silence, à commencer par les crimes commis par certaines unités qui finiront par être pourchassées par les autorités de la ville. Plus de vingt ans après, un combattant est toujours saisi d’émotion en évoquant l’expédition pour arrêter ses frères d’armes, coupables d’exactions. « J’étais anéanti, mais il fallait le faire », dit-il calmement.
Impact de balle - Vue sur les tours jumelles de Momo et d'Uzeir. A Sarajevo, en 1993. | GILLES PERESS/MAGNUM PHOTOS
Là encore, le témoignage met en lumière une singularité du siège de Sarajevo : l’exemple rare d’une résistance qui a fait le ménage dans ses propres rangs, alors que les combats faisaient encore rage.
Les uns après les autres, les témoins racontent, avec une authenticité saisissante, leur incrédulité face à ce qui leur arrive, à ce basculement dans l’horreur. « Le siège est entré dans nos vies, pas à pas », raconte un homme, en évoquant la lutte acharnée pour ne pas céder à la résignation et à la peur. Ce choix, chaque jour remis sur l’établi, de ne pas se laisser réduire à la mort et à la souffrance. Et qui passe par une multitude de résistances.
Une rage de vivre
Au point que les scènes les plus poignantes de ce huis clos vécu par Sarajevo ne sont pas les images de guerre, même celles qui témoignent de l’héroïsme stupéfiant de ceux qui se précipitent au péril de leur vie pour secourir un passant foudroyé par un tireur embusqué.
Les images les plus bouleversantes sont celles de ces fêtes improvisées dans des caves, formidable pied de nez à l’absurde, et célébration d’une rage de vivre illustrée par des comédiens jouant sur des scènes éclairées à la bougie et des musiciens proposant des concerts dans un décor de ruines.
Affiche du « Siège » de Rémy Ourdan, journaliste au « Monde » et Patrick Chauvel. | AGAT FILMS & CIE
L’une des répliques les plus émouvantes du film vient d’un jeune combattant à qui un metteur en scène demande quel sens il peut trouver à de tels spectacles en arrivant du front. « Si vous ne le faisiez pas, lui répond-il, nous n’aurions plus rien à défendre. » Le propos, magnifique, résume celui du film : ce qui s’est joué à Sarajevo est le combat de la civilisation face à la barbarie.
Le Siège, de Rémy Ourdan et Patrick Chauvel (Fr., 2016, 90 min). Le mardi 22 mars à 22 h 40 sur Arte. Fipa d’or 2016 du meilleur documentaire de création. Suivi, à 0 h 20, du documentaire De Sarajevo à Sarajevo (2014, 52 min).