Beaux livres : la sélection du Monde
Beaux livres : la sélection du Monde
Chaque jeudi, La Matinale vous livre les coups de cœur du « Monde des livres ». Cette semaine, à l’approche de Noël, la sélection est dédiée aux beaux livres.
LA LISTE DE NOS ENVIES
Cette semaine, vous avez le choix entre une plongée sans précédent dans les archives de Walt Disney, un face-à-face avec l’œuvre de la figure du pop art Martial Raysse, une rencontre magnétique avec un gendarme chasseur de fantômes et un rendez-vous galant avec le grand Sempé.
CINÉMA. « The Walt Disney Film Archives. The Animated Movies 1921-1968 », sous la direction de Daniel Kothenschulte
Walt Disney (1901-1966) était convaincu de l’importance de son art. La conduite de son studio d’animation allait de pair avec le souci de sa postérité. On mesure ce soin mis à tout collecter dans The Walt Disney Film Archives, l’album que l’historien de l’animation Daniel Kothenschulte a rassemblé pour Taschen. Le livre se concentre, par ordre chronologique, sur les œuvres produites et réalisées par Disney de son vivant : des films muets tournés à Kansas City et à Hollywood au début des années 1920 au Livre de la jungle (1967), achevé un an après la mort du réalisateur.
L’ensemble, visuellement éblouissant, avec plus de 1 500 photos des coulisses, des croquis préparatoires, des esquisses, des dessins au fusain, constitue l’encyclopédie la plus aboutie consacrée à l’animateur emblématique du XXe siècle, doublée d’une série de textes rédigés par les meilleurs exégètes de l’auteur de Dumbo (1941) et des 101 Dalmatiens (1961). Une véritable malle aux trésors. Samuel Blumenfeld
Taschen
« The Walt Disney Film Archives. The Animated Movies 1921-1968 », sous la direction de Daniel Kothenschulte, en anglais, avec un livret comprenant la traduction française, Taschen, 620 pages, 150 €.
ART. « Martial Raysse », de Dimitri Salmon
C’est désormais une évidence : Martial Raysse (né en 1936) est un artiste majeur. La monographie de Dimitri Salmon, la première du genre, en administre les preuves, texte et images adroitement associés. Elle s’inscrit dans le processus de reconnaissance du plasticien engagé depuis une quinzaine d’années. Historiens, collectionneurs et musées y ont participé ensemble jusqu’aux rétrospectives du Centre Georges-Pompidou en 2014 et du Palazzo Grassi, à Venise, un an plus tard.
Celles-ci ont rappelé la part que Martial Raysse a prise, dans les années 1960, dans l’invention et le développement du pop art, puis ce qui a suivi cette période initiale : une distance de plus en plus grande par rapport à la scène de l’art et l’abandon des techniques dans lesquelles l’artiste excellait – montages à base de photographies, insertions d’objets réels – pour l’apprentissage solitaire du dessin et de la peinture. Beaucoup ont alors cru que Raysse s’était perdu, avant de s’apercevoir récemment que, s’il avait changé de modes d’expression, il était toujours le fabuliste et moraliste narquois de nos mœurs et de nos désirs. Philippe Dagen
Griffon
« Martial Raysse », de Dimitri Salmon, Griffon, 240 pages plus six feuilles dépliantes, 68 €.
ANTHROPOLOGIE. « Les Forces de l’ordre invisible. Emile Tizané (1901-1982). Un gendarme sur les territoires de la hantise », de Philippe Baudouin
« On ne croit pas encore aux fantômes dans la gendarmerie. » Emile Tizané formule ce constat dans les années 1920. Au moment de sa mort, en 1982, le regret demeure. L’officier de gendarmerie disparaît, et son œuvre tombe dans l’oubli, plusieurs livres et surtout des dizaines de cartons d’archives qui contiennent les éléments de ses diverses enquêtes : procès-verbaux, fiches cartonnées, photographies, plans, coupures de presse soigneusement annotées, amplement reproduits dans un album magnétique, présenté par Philippe Baudouin, Les Forces de l’ordre invisible.
Convaincu que « l’esprit frappeur est délinquant », Tizané le traque comme un criminel, le piste, procède à des comparaisons, définit les lieux-types de ses manifestations. Il se rend en ces endroits – granges ou fermes « habitées » –, souvent juste après les faits, et met toute la rationalité au service, jusque dans les années 1960, de la chasse aux « poltergeist » (forces occultes et perturbatrices). Vous avez dit bizarre ? Julie Clarini
Le Murmure
« Les Forces de l’ordre invisible. Emile Tizané (1901-1982). Un gendarme sur les territoires de la hantise », de Philippe Baudoin, Le Murmure, 266 pages, 39 €.
DESSIN. « Sempé à New York », de Sempé, Denoël/Martine Gossieaux
Jean-Jacques Sempé est, comme Jacques Tati, un de ces artistes qui modifient si bien notre regard qu’il nous vient quelquefois des idées qui pourraient être les leurs, nous semble-t-il du moins, naïvement ou présomptueusement. Rien à voir pourtant avec le petit jeu littéraire des pastiches « à la manière de ». Il s’agit d’une empreinte profonde qui affecte nos conceptions aussi bien que notre perception du réel.
Paraît aujourd’hui en librairie une édition augmentée de Sempé à New York (Denoël, 2009), qui rassemble les couvertures que celui-ci a dessinées pour l’hebdomadaire The New Yorker depuis 1978 et nous donne à lire aussi un entretien avec Marc Lecarpentier, consacré à cette aventure américaine. En feuilletant ces pages, nous sommes à nouveau émus par la délicatesse du trait, la subtilité et la mélancolie de cet humour, une espèce d’élégance morale aussi, discrète, sans affectation. « On est vraiment minuscules », répète Sempé, toujours surpris et amusé par l’extraordinaire et si dérisoire aplomb de ses semblables. Eric Chevillard
Denoël/Martine Gossieaux
« Sempé à New York », de Sempé, Denoël/Martine Gossieaux, 320 pages, 45 €.