Démocratie numérique : les initiatives citoyennes qui bousculent les intitutions
Démocratie numérique : les initiatives citoyennes qui bousculent les intitutions
Par Claire Legros
Le 4e sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert s’est tenu à Paris pendant trois jours. Des acteurs de la société civile ont présenté un foisonnement d’expériences de démocratie participative.
Le constat est partagé, à l’heure des réseaux sociaux et des plates-formes de pétitions, la démocratie ne peut plus s’exercer comme avant. Dans de nombreux pays, des acteurs de la société civile imaginent de nouveaux dispositifs pour associer à la vie politique des citoyens qui veulent désormais donner leur avis ailleurs que dans les urnes. Ils étaient venus nombreux participer à Paris au quatrième sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert du 7 au 9 décembre. L’occasion de partager leurs expériences et d’échanger sur leurs pratiques et leurs outils.
Accès aux données
Pilier de la rénovation en cours, l’ouverture des données publiques est au centre d’un foisonnement d’initiatives visant à lutter contre la corruption. Comme en Ukraine, où la plate-forme Prozorro créée par l’ONG Transparency International Ukraine, lauréate du prix de l’Open Government Partnership (OGP) cette année, veut faire la lumière sur l’utilisation de l’argent public dans le cadre de l’attribution des marchés. « Prozorro ne fait pas référence au héros masqué mais veut dire “transparence” en ukrainien, prévient l’un des fondateurs de la plate-forme Yuriy Bugay, un acteur de la révolution ukrainienne de 2014. Plus de 2,2 milliards de dollars étaient perdus chaque année du fait de l’absence de concurrence. » Aujourd’hui chaque procédure peut être suivie de bout en bout.
Même constat au Honduras, où la plate-forme Sisocs vise à rassembler les données du secteur des infrastructures routières. Près de 600 projets y sont recensés. « Auparavant, toutes ces données étaient dispersées et pas toujours disponibles alors qu’elles représentent 600 millions de dollars d’investissements publics », raconte Carlo Chinchilla, l’un des promoteurs de l’outil. Soutenu par le gouvernement, le projet forme aussi les habitants des villages à évaluer le résultat sur le terrain.
Evaluer le travail des élus
S’il fallait des exemples pour montrer que les technologies transforment la gouvernance des Etats, les militants qui ont investi l’Elysée, le Sénat et le Palais d’Iéna pendant trois jours en ont fait la démonstration. A l’heure où les institutions ne cessent de perdre en crédibilité, de nombreuses initiatives visent à évaluer le travail des élus. « Vos élus vous représentent, mais que font-ils exactement en votre nom ? », interroge le projet TheyWorkForYou de l’association MySociety, qui publie les votes et interventions publiques des députés britanniques. C’est aussi l’objectif de l’ONG tunisienne Al Bawsala : mettre à disposition de tous des informations « simplifiées et accessibles » sur le budget de l’Etat, et vérifier que les responsables politiques respectent les engagements de leur programme électoral.
Ces initiatives bousculent les institutions mais contribuent aussi à les transformer. En Indonésie, le programme citoyen ApiPemilu a conduit la commission électorale à ouvrir l’accès aux données des principales élections. « Avec 190 millions d’électeurs, 550 000 bureaux de vote répartis sur presque 14 000 îles et entre 250 et 450 candidats à certains suffrages, les élections en Indonésie sont parmi les plus complexes au monde », explique Titi Anggraini, de l’association indonésienne pour la démocratie Perludem. En 2013, son association a recueilli les données électorales éparpillées, les a organisées puis ouvertes dans le cadre d’un hackathon, un atelier collaboratif qui réunit développeurs et graphistes, pour imaginer une réutilisation de ces données. Dix applications ont vu le jour pour aider à repérer le profil et le programme des candidats.
Quelle régulation et par qui ?
Bouillonnante et inventive, la démocratie 2.0 présente aussi des faiblesses. Et en premier lieu sa représentativité. Comment inclure le plus grand nombre d’habitants dans les dispositifs de consultation citoyenne ? A Mexico City, la rédaction de la nouvelle Constitution de la ville a donné lieu à une consultation inédite organisée en partenariat avec le site de pétitions Change.org. Mais pour Bernardo Rivera, l’un des initiateurs du projet, « la technologie ne suffit pas. Il faut un contact humain, un accompagnement pour créer un climat de confiance et du lien ». Trois cent cinquante enquêteurs ont sillonné les quartiers les plus déconnectés de la ville pour interroger directement les habitants. Reste à savoir si les députés retiendront les propositions citoyennes dans la version finale de la Constitution, prévue en janvier 2017.
L’un des principaux enjeux de ces consultations réside en effet dans leur efficacité. A l’heure où rumeurs et désinformation investissent la Toile, comment s’assurer que les lobbies n’instrumentalisent pas ces nouveaux outils ? Quel statut pour les propositions citoyennes face au suffrage universel ? Comment s’assurer de leur prise en compte par les autorités ? Quelle régulation et par qui ? En France, des associations, parmi lesquelles Regards citoyens, s’inquiètent de voir ces dispositifs manipulés « par tel ou tel groupe d’intérêt » et ont testé en novembre l’évaluation d’une consultation grâce à un dispositif de crowdsourcing (par la foule).
D’autres comme les membres du collectif international Democracy Earth sont venus témoigner de leur expérimentation de la technique de la blockchain. Une façon, demain peut-être, d’éviter la centralisation des données et d’assurer une corégulation citoyenne.