Cette semaine, plongez dans l’Amérique du début du XXe siècle grâce à Donald Ray Pollock et son odyssée du pire, découvrez la formidable fresque historique et familiale de Michèle Sarde qui met les femmes à l’honneur et passionnez-vous pour l’histoire populaire de la France retracée avec brio par Michelle Zancarini-Fournel.

ROMAN « Une mort qui en vaut la peine », de Donald Ray Pollock

Au cœur de l’humanité grotesque admirablement mise en scène par le romancier américain Donald Ray Pollock, trois frères : Cane, Chimney et Cob Jewett, embarqués dans une odyssée du pire après la mort de leur père. Fervent religieux, celui-ci leur promettait une vie meilleure au paradis, décrit comme un banquet céleste regorgeant de victuailles et de steaks aussi gros que des roues de chariot. N’ayant plus pour modèle que Bloody Bill, le héros d’un roman populaire pour amateurs de western, ces Dalton du pauvre vont multiplier les cambriolages les plus foireux et attirer à leurs basques tout ce que le Midwest compte de miliciens et de chasseurs de primes.

L’action se déroule en 1917 entre l’Ohio, la Géorgie et l’Alabama. Les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre, mais l’idée que le monde est à l’aube d’une grande mutation pénètre chaque chapitre de cette fantaisie chez les ploucs, jouée sur fond de famine et de corruption, où le mal le dispute au pathétique. Le téléphone va bientôt supplanter le télégraphe, l’avion remplacer le bateau à roue à aubes et le taylorisme vider les campagnes. L’Ouest sauvage ne sera plus tout à fait le même, nous fait comprendre Donald Ray Pollock. Frédéric Potet

Albin Michel

Une mort qui en vaut la peine (The Heavenly Table), de Donald Ray Pollock, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 576 p., 22,90 €.

ROMAN « Revenir du silence », de Michèle Sarde

Revenir du silence se présente comme une ample fresque historique et familiale, foisonnante de personnages, dans laquelle Michèle Sarde confie aux femmes – longtemps inconnues des arbres généalogiques – le premier rôle : celui de transmettre une histoire de cendres, d’errance et d’exil. A l’image de celui qu’a connu Jenny, sa mère, à l’âge de 5 ans. Après l’incendie de Salonique de 1917, qui ravage la ville, son grand-père Maïr Benveniste se voit confronter, à cinq siècles de distance, au même dilemme que ses ancêtres espagnols : rester ou partir de cette « Jérusalem des Balkans ». Après quatre ans de préparatifs, c’est l’exode. Les plus francophiles de la parentèle choisissent Paris, où ils s’installent en 1921.

Huit longues années ont été nécessaires à l’auteure pour se documenter… Car loin de s’arrêter à son enfance et au parcours de sa mère, Michèle Sarde veut élargir son propos à l’histoire méconnue et tragique de la communauté judéo-espagnole de Salonique. Manière, dit-elle, d’apporter son dû à l’histoire juive et, au-delà, à l’histoire universelle : « Je ne désirais pas écrire un livre pour spécialistes, il me paraissait essentiel, au nom des disparus, que ce soit un livre destiné au plus grand nombre. » Christine Rousseau

Julliard

Revenir du silence, de Michèle Sarde, Julliard, 384 p., 19,50 €.

ESSAI « Les Luttes et les Rêves », de Michelle Zancarini-Fournel

Projet insensé dans ses dimensions et son résultat (près de mille pages !), l’histoire populaire de la France proposée par Michelle Zancarini-Fournel ne retrace pas les vies multiples et minuscules des roturiers sur trois siècles : elle vise et englobe tous ceux qui subirent une domination, qu’elle fût sociale ou politique. Au centre de son récit, donc : la sujétion, mais aussi la résistance et les combats – comme le promet le titre choisi, emprunté à Victor Hugo, Les Luttes et les Rêves.

D’emblée, ce qui frappe est la férocité. La guerre sociale s’égrène en un long chapelet de répressions : chasses à l’homme, galères, bagne, exécutions, guillotine, prison… L’ouvrage raconte ainsi patiemment les souffrances du peuple, ses éruptions de colère (les connues, les oubliées) et, le plus souvent, ses défaites. Les rébellions sont nombreuses et de toutes natures : de la contrebande menée par le populaire Mandrin, au milieu du XVIIe siècle, aux grèves des dockers, en 1950, en passant par la façon moqueuse ou hargneuse de « faire bacanal », dans les rues du Paris des Lumières. « Tout comme on rêve, on lutte », conclut Michelle Zancarini-Fournel au terme de cette fresque impressionnante où se donnent à voir, comme dans un émouvant répertoire, toutes les façons de demander l’impossible. Julie Clarini

Zones

Les Luttes et les Rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, de Michelle Zancarini-Fournel, Zones, 996 p., 28 €.