Lors du 14-Juillet à Paris, en 2015. | POOL / REUTERS

Editorial du « Monde ». L’armée française est l’une des plus performantes du monde – compte tenu de sa taille, moyenne, et du budget, moyen, qu’y consacre le pays. Il suffit d’interroger des responsables américains ou européens pour recueillir des réponses en général admiratives sur ses capacités. Cette seule considération conduit à prendre très au sérieux le cri d’alarme budgétaire lancé cette semaine par Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées.

Sans tomber dans une crise de « fana-mili » excessive, on ajoutera aussi que l’armée, depuis sa professionnalisation, est l’un des services publics les plus exemplaires. En matière d’intégration des femmes et des minorités ethniques ou religieuses, elle pourrait en remontrer à beaucoup. Elle est un concentré de femmes et d’hommes de talent qui ont choisi cette vie à part : le métier des armes – la guerre.

On dira qu’il est dans l’habitude de l’état-major – peut-être pas aussi directement que Pierre de Villiers l’a fait mercredi 21 décembre dans les colonnes de notre confrère Les Echos – de sonner le clairon pour réclamer des sous. Il suffit de relire le duc de Saint-Simon pour le savoir : c’est vieux comme l’Etat. Mais voilà, le temps est loin d’un après-guerre-froide que l’on pouvait espérer paisible. Le général de Villiers le rappelle : l’ère de « l’insouciance » est bel et bien passée ; lui succède cette époque d’insécurité et de grande complexité stratégiques.

Tout y contribue. La lutte contre le terrorisme islamiste, où se mêlent sécurité intérieure et extérieure. Et encore cette émergence nouvelle d’Etats-puissances aux portes de l’Europe – cela va de la Russie à la Turquie, en passant par l’Iran – qui, au-delà des alliances des uns et des autres, ne croient qu’à une seule règle en matière de relations internationales : le rapport de force. Angélique, l’Europe, trop longtemps, n’a pas voulu voir cette simple réalité.

Avis aux prétendants à l’Elysée

Le mérite de François Hollande, parmi d’autres, aura été d’arrêter net une irresponsable tendance à la baisse des budgets de la défense depuis trente-cinq ans. Le général de Villiers en convient. Il observe, cependant, que l’armée est aujourd’hui déployée sur un très grand nombre de fronts. De l’intensification de ses engagements résulte une usure des matériels, et un danger accru pour les militaires, qui requiert un effort budgétaire supplémentaire – sauf à ce que la France ne puisse enrayer une spirale qui dégraderait pour longtemps son outil militaire.

Le « CEMA » (chef d’état-major) ne s’adresse pas tant au président Hollande qu’à son successeur. Il veut un budget de la défense qui représente, comme le réclame l’OTAN, 2 % du produit intérieur brut (1,8 % aujourd’hui) dès 2022, pas plus tard, comme il est prévu. Avis aux prétendants à l’Elysée. On peut, on doit, discuter de la structure du budget des armées, de tel ou tel choix, bien sûr, et l’adresse du CEMA ne servirait-elle qu’à introduire le sujet de la défense dans la campagne électorale 2017 qu’elle serait déjà bénéfique.

Pierre de Villiers souligne à propos que l’effort de défense n’est pas un jeu à somme nulle : il fait partie d’une chaîne industrielle et technologique aux retombées bien plus larges pour la France. Mais tout indique que le chef d’état-major a aussi raison sur le fond et ne cède pas à une manière d’alarmisme de corporation quand il alerte sur l’état de nos forces, l’usure et l’épuisement de leurs matériels. Il faut écouter le coup de clairon du CEMA.