Nathalie Vranken forme avec son mari Paul-François Vranken l’un des couples les plus puissants du secteur du champagne. Le vignoble Vranken-Pommery Monopole est le plus important d’Europe et réalise le second chiffre d’affaires du secteur. Depuis le rachat de la maison Pommery, c’est elle qui est aux commandes des « Expériences », événement d’art contemporain majeur qui réunit une quinzaine d’artistes, débutants ou confirmés. Leur terrain de jeu est exceptionnel : les kilomètres de galeries de la cave situés à 60 mètres sous le château.

Nathalie Vranken gère les événements d’art contemporain qui ont lieu chaque année à la maison Pommery. | Jean-Christophe Hanché pour M le magazine du Monde

L’omniprésence de l’art dans votre vie est-elle le résultat d’une maturation lente comme pour le champagne ?

Le désir a toujours été présent. Il s’est d’abord traduit par un simple accompagnement. Je n’aime ni les termes « sponsor » ni « partenaire »… Nous n’étions pas acteurs. Lorsque nous avons acquis Pommery en 2002, et que nous avons découvert les caves et les bas-reliefs du sculpteur Gustave Navlet commandés par Madame Pommery et Henry Vasnier [directeur historique de la maison Pommery et grand collectionneur d’art], il s’est posé la question de passer à une étape différente : devenir acteur. Cela a donné naissance aux « Expériences Pommery » en 2003.

Quel a été le déclencheur ?

Mon mari a dit : « Il faudrait faire des expositions dans la cave ! » C’était l’expression naturelle d’une envie, pas un élément de communication. Néanmoins, c’est évidemment un événement sur lequel nous communiquons.

Comment organisez-vous une exposition de cette ampleur tous les ans ?

La première Expériences fut organisée avec Stéphanie Moisdon [critique d’art et commissaire d’exposition]. À l’époque, on empruntait plus que l’on ne produisait. Evidemment exposer des œuvres dans une cave à 98 % d’humidité et 10 °C de température constante ne rendait pas les liens très faciles et agréables avec les collectionneurs auxquels j’empruntais les créations. C’est donc le temps qui nous a fait basculer dans la production. On imagine que l’on s’habitue au bout de treize ans, mais je constate que ce n’est pas le cas car tout est nouveau à chaque fois. Notamment grâce aux rencontres avec de nouveaux artistes ou un changement de commissaire [cette année, ce sera Fabrice Bousteau, directeur de Beaux-Arts Magazine].

Quel lien peut-on faire entre l’artiste et le viticulteur ?

Il faut écouter le chef de cave comme on écoute les artistes. En effet, entre la récolte d’une vendange et l’aboutissement, quatorze ans après, d’une cuvée Louise, il y a un travail et une vision d’anticipation qui permet de déguster la bouteille sur le moment ou des années après.

« Ni l’artiste, ni nous-mêmes parfois, et bien que nous en ayons désormais l’expérience, ne nous rendons compte du temps nécessaire pour la mise en place d’une œuvre. »

L’artiste c’est pareil. Il a son projet en tête mais aussi doué soit-il, il n’arrive jamais à percevoir le lieu dès la première fois. Il faut plusieurs visites pour que les caves et les crayères créent le lien avec lui. Ni l’artiste, ni nous-mêmes parfois, et bien que nous en ayons désormais l’expérience, ne nous rendons compte du temps nécessaire pour la mise en place d’une œuvre. Pour celle de Pablo Valbuena dans le grand escalier par exemple, il a fallu faire intervenir les électriciens de la maison car il en venait à se décourager. Pour un autre, nous avons dû courir les supermarchés de la région pour trouver des bassines de couleur car il n’en avait pas assez pour créer les immenses guirlandes suspendues dans les Caves Manchester.

Avec les années, vous ne réussissez pas à faire comprendre aux artistes la nécessité d’un temps long pour la mise en place et peut-être tenter de le réduire ?

Non. Je leur explique pourtant mais ils ne me croient pas. Dans le processus de création, il faut ce moment de confrontation entre l’artiste et le lieu. C’est passionnant lorsque le créateur est là. Évidemment ça l’est moins quand il est absent et qu’il nous laisse produire seuls. En très peu de temps, l’artiste sait passer du bien au sublime.

Où en êtes-vous dans votre processus de mécène ?

La collection d’Henry Vasnier m’interpelle quant à ma propre démarche. Il y a un geste de collectionneur et donc une vision du temps. Quel sens dois-je donner à mon travail de mécénat et aussi celui auprès des artistes ? Faut-il aller vers une collection permanente ? Faut-il créer une fondation ? Faut-il faire des dons à un musée ?

Nathalie Vranken avec son mari Paul-François Vranken sont à la tête du vignoble Vranken-Pommery Monopole. | Jean-Christophe Hanché pour M le magazine du Monde

Le nombre de fondations d’entreprise n’a jamais été aussi important. Comment seront-elles perçues dans le temps ? Je ne sais pas. Auparavant, le mécène permettait de montrer au plus grand nombre tout en restant dans le cadre des musées. Aujourd’hui, les espaces bougent. L’offre est de plus en plus riche.

On se rend compte aussi que l’apprentissage de l’art grâce à la multiplication des foires, expositions, etc. entraîne une spécialisation des acteurs. Êtes-vous journaliste d’art ou d’art contemporain ou bien spécialiste de la sculpture entre 1920 et 1925 ? À force de penser que c’est formidable d’avoir de plus en plus, on réduit le corridor temporel. Et quand on propose d’associer le contemporain et le classique par exemple, on ouvre un spectre de temps compliqué pour certains !

Que deviennent les œuvres créées pour les lieux ?

Une œuvre en bois par exemple sera détruite car après huit mois au fond de la cave, elle va se gorger d’eau. Sinon, on possède une option d’acquisition des œuvres que l’on réalise ou pas.

Après les treize Expériences…

J’ai gardé quelques souvenirs si c’est ce que vous voulez savoir !

« Gigantesque. L’Expérience Pommery #13 » jusqu’au 31 mai 2017. Au Domaine Vranken Pommery, 5, place du Général-Gouraud, Reims.

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