Le patio du site EuraTechnologies, à Lille. | Jean-pierre Duplan / Lightmotiv

Ni les poutres noires qui ont brisé les fenêtres, ni le feu qui a léché les murs n’ont fait céder la façade de cette ancienne retorderie située aux confins ouest de la métropole lilloise : les murs sont là, debout, comme en mémoire de ceux qui les ont construits et des générations d’hommes et de femmes qui les ont habités, stigmate des effets ravageurs de la crise sur la région Hauts-de-France. A quelques centaines de mètres, d’autres murs centenaires, ceux des filatures Le Blan-Lafont, château d’industrie aux tours crénelées. Ici, l’ocre des briques resplendit, rehaussé par le verre et l’acier choisis pour les habiller et les soutenir lors d’une opération de réhabilitation achevée en 2009. Mais les ballots de coton ont laissé place à un écrin pour talents bruts ou déjà taillés : EuraTechnologies, un écosystème où se côtoient majors du secteur informatique et start-up.

Le pari de la réhabilitation de ce bâtiment est celui d’une revanche : avant sa déshérence à la fin des années 1980, « cette usine a fait vivre 5 000 personnes », rappelle Massimo Magnifico, directeur d’exploitation d’EuraTechnologies. Sept ans après son inauguration, cet écosystème entrepreneurial fait revivre le quartier, selon lui : « Nous comptons 3 500 salariés sur le site et plus de 5 000 emplois sur l’ensemble de la métropole lilloise. » « L’objectif est 20 000 en 2020 », renchérit Pierre de Saintignon, premier adjoint (PS) de la ville de Lille et initiateur du projet.

Le site est conçu pour être un « facilitateur » d’innovations. Les lignes de production de l’usine textile d’antan ont été remplacées par une ligne de montage virtuelle : elle commence par une idée et se termine par un produit fini, autour duquel s’est construite une entreprise dotée d’un business model… et d’un avenir.

Des limiers aux « start-up week-ends »

En premier lieu donc, les idées. Pour les capter, EuraTechnologies a tissé une dense toile de partenariats avec une trentaine de grandes écoles d’ingénieurs et de commerce de la région. Forums, conférences, tout est fait pour que l’information circule. « Nous repérons les projets entrepreneuriaux », expose Aude Allard, chargée de relations emploi, formation, insertion pour EuraTechnologies. Les plus prometteurs sont invités. Ensuite, des limiers écument les « start-up week-ends », où des étudiants inventifs imaginent les produits de demain. A l’issue de ces concours d’innovation, ceux qui présentent le meilleur projet de start-up obtiennent le droit de profiter gracieusement des infrastructures.

Plusieurs centaines de mètres carrés de bureaux paysagers sont à la disposition des heureux élus. Tables claires, baies vitrées et environnement cosy pour « brainstormer ». « Avoir un lieu de travail, un accès à Internet et une imprimante, cela peut paraître simple mais c’est indispensable. Et lorsqu’on part de rien, c’est très compliqué », témoigne Christophe Lossois, directeur général de WayKonect, start-up de vingt salariés spécialisée dans les voitures connectées, pur produit de l’incubateur. Sur place, les nouveaux ont « 80 jours pour sortir un projet viable, explique Massimo Magnifico. Seuls 40 % passent ce cap, mais ensuite 90 % des projets aboutissent ». Le concept validé, vient le temps de la réalisation.

Professionnels aguerris

Le chemin vers la création d’une entreprise est ponctué d’embûches : décoder le parcours administratif, convaincre des investisseurs, intégrer le carnet d’adresses des clients potentiels… Pour y répondre, l’incubateur guide et conseille. Dans ses murs interviennent avocats, experts-comptables, fiscalistes, managers… Une armée de professionnels aguerris pour accompagner les nouveaux venus avant de leur laisser les rênes. A côté de la myriade de petites entreprises, des géants du numérique, comme IBM et Capgemini, se sont implantés, pour « accéder directement à des porteurs de projets », précise Massimo Magnifico.

La présence de grands laboratoires, comme ceux de l’Institut national de recherche consacré au numérique (Inria) ou le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), alimente encore la richesse du site. « Rapprocher un centre de recherche comme l’Inria et des entreprises nous a obligés à gagner en réactivité », reconnaît Margot Corréard, chargée de partenariats pour l’Inria. Les détenteurs d’une technologie parlent aux entrepreneurs qui lui trouveront – peut-être – une application pratique. « Les chercheurs apprennent à parler aux chefs d’entreprise », résume Margot Corréard.

« Une idée et de l’ambition »

Confrontés aux mêmes difficultés techniques, de choix technologiques, juridiques, administratifs, les candidats à l’incubation comme les jeunes pousses partagent leurs retours d’expérience. L’échec d’un projet d’incubation n’est qu’un faux pas qui servira à un autre projet. Si chaque entreprise a son identité et ses objectifs, toutes sont membres d’une entité plus large « où elles travaillent en synergie », souligne Olivier Lenancker, directeur administratif de Les-Tilleuls. coop, développeur d’applications Web.

A la souplesse de la circulation de l’information s’ajoute celle de la formation. Avec l’Ecole des hautes études d’ingénieurs de Lille, intégrée au pôle Yncréa, EuraTechnologies a développé sa propre formation d’ingénieurs en informatique, ainsi qu’un centre de formation professionnelle. Quand un établissement classique a besoin d’un an pour élaborer une formation, quatre mois suffisent ici pour créer un module sur mesure, adapté aux demandes des entreprises.

« Une idée et de l’ambition », ce sont les moteurs du succès à EuraTechnologies, estime M. Magnifico. Ce mercredi, les enfants des centres de loisirs voisins s’égaillent dans l’espace d’EuraTechnologies. Ici, pas de colin-maillard ou de marelle : les petits apprennent les bases de la robotique et du codage. La renaissance du quartier par la technologie puise son énergie dans le même terreau que ses vieux murs : le territoire et ses habitants.