Les inégalités de patrimoine, qui se sont accentuées depuis plusieurs années, vont suivre la même tendance – et à un rythme plus soutenu, encore, si rien ne change dans le code des impôts. Il faut, par conséquent, « réformer la fiscalité des héritages », notamment en encourageant les donations au profit des jeunes. Cette préconisation figure dans une note dévoilée, jeudi 5 janvier, par France Stratégie, un organisme de réflexion et de concertation placé auprès du premier ministre. Elle donnera probablement des idées aux candidats à l’élection présidentielle.

La valeur des biens accumulés par les ménages n’a cessé de s’accroître : de 1980 à 2015, elle a été multipliée par trois pour atteindre 10 600 milliards d’euros. Aujourd’hui, le patrimoine d’un foyer représente environ huit années de son revenu disponible net (contre 4,5 en 1980), soit l’un des ratios les plus élevés dans les pays de l’OCDE. Le phénomène est, en partie, imputable à la hausse des prix de l’immobilier. Mais aussi, et plus encore, à la « forte croissance du patrimoine financier » (assurance-vie, actions…) : ce type d’actifs représente désormais 42 % des biens détenus par les ménages (contre 30 % il y a trente-cinq ans).

Ce phénomène d’enrichissement a surtout concerné les plus aisés. Ainsi, le patrimoine brut moyen des 10 % de ménages les plus riches est passé, entre 1997 et 2008, de 700 000 à 1,2 million d’euros, tandis que celui des 50 % des foyers les moins fortunés progressait de 18 000 à 45 000 euros, au cours de la même période.

L’âge auquel on hérite de ses parents va s’élever

Les seniors sont les autres grands gagnants. Les personnes de 60 à 69 ans forment désormais la tranche d’âge « la plus dotée en patrimoine » : leurs biens avaient une valeur à peine supérieure à ceux détenus par les personnes de 40 à 49 ans, en 1986 ; aujourd’hui, ils représentent une somme deux fois plus importante.

La France se retrouve « dans une situation singulière, avec des seniors dont le niveau de vie est meilleur que celui des actifs », a commenté, jeudi, Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, lors d’une conférence de presse.

Or, ces évolutions sont susceptibles de prendre de l’ampleur dans les années à venir. Si l’espérance de vie poursuit sa hausse, l’âge auquel on hérite de ses parents va s’élever, passant de 50 ans aujourd’hui à 60 ans en 2070. En outre, le nombre de décès va s’envoler, avec les générations nombreuses de baby-boomer, « mieux dotées » que les précédentes en patrimoine.

Dès lors, insiste France Stratégie, tout est réuni « pour que la progression de la part de patrimoine détenue par les seniors s’auto-alimente et pour que la richesse des individus soit, plus qu’auparavant, déterminée par celle de leurs ascendants », plutôt que par leurs revenus (donc leur mérite).

Un système qui laisse prospérer des inégalités

« Face à ces enjeux, la fiscalité semble peu adaptée », a estimé, jeudi, l’auteur de la note, Clément Dherbécourt. A l’heure actuelle, c’est la part reçue par l’héritier qui est taxée, à un taux qui dépend à la fois du montant transmis et du degré de parenté entre le défunt et l’héritier : il sera modéré pour les flux entre un couple et ses enfants mais plus important dans les autres cas de figure, dits « en ligne indirecte » (entre un oncle et sa nièce, par exemple).

Ce système laisse prospérer des inégalités. Ainsi, la ponction sera forte pour des « héritages hors ligne directe, même pour des petits montants et au sein d’une même famille », alors qu’elle sera moindre, en pourcentage, sur des transmissions « en ligne directe, même pour des montants élevés ».

De même, pour une somme strictement identique, le prélèvement peut varier : un particulier « paiera 9 % de frais de succession s’il reçoit 200 000 euros de chacun de ses parents , mais 14,5 % s’il reçoit 400 000 euros de l’un de ses parents et rien de l’autre ». En outre, des exonération sont accordées pour certains biens (œuvres d’art, assurance-vie, entreprises…), ce qui nuit à la progressivité du dispositif.

Trois « options » esquissées

Compte tenu de toutes ces limites, il est temps, pour France Stratégie, d’engager « une réforme structurelle de la fiscalité », afin d’« assurer une meilleure égalité des chances » et d’« orienter le capital vers des investissements plus productifs ».

Trois « options » sont esquissées. La première – la moins ambitieuse, mais aussi la plus simple à mettre en œuvre – se borne à corriger les défauts les plus marqués du système actuel, notamment en incitant les transmissions précoces de patrimoine (réduction des droits à payer en fonction de l’âge de l’héritier) ; certaines exonérations (sur l’assurance-vie, par exemple) seraient, d’autre part, mieux encadrées.

Deuxième scénario : créer un dispositif dans lequel le taux d’imposition est calculé en fonction du patrimoine reçu « par un individu tout au long de sa vie » – et non pas à chaque transmission, ce qui donne la possibilité, à l’heure actuelle, d’atténuer la ponction ; ainsi, « celui qui recevrait plus paierait plus, quelle que soit la manière dont la richesse lui est [attribuée] ». Les détenteurs de patrimoine seraient encouragés à donner leurs avoirs à plusieurs personnes, de préférence à celles qui ont peu hérité.

Dernier schéma : verser une dotation aux particuliers issus de famille qui n’ont pas de biens (ou très peu). « Cette idée-là n’est pas acquise pour tout le monde », a reconnu Jean Pisani-Ferry. « Ce sont des pistes, pas une réforme clé en main », a complété Clément Dherbecourt.