Devant le consulat japonais à Busan (Corée du Sud), le 30 décembre. | © Stringer . / Reuters / REUTERS

Le rappel temporaire par le Japon de son ambassadeur en Corée du Sud et de son consul dans la ville portuaire méridionale de Busan, décidé par Tokyo vendredi 6 janvier, conjugué à la suspension des entretiens économiques à haut niveau, ont ravivé les tensions diplomatiques entre les deux pays. Le Japon proteste contre l’érection, en face de son consulat à Busan, d’une statue de bronze à la mémoire des « femmes de réconfort » (« ianfu »), euphémisme pour designer les quelque 200 000 Asiatiques, en majorité coréennes, et quelques européennes, contraintes de se prostituer pour l’armée impériale dans les années 1930-1940. Tokyo exige que cette statue soit immédiatement retirée.

Les deux parties estiment « regrettable » ce regain de tension. Mais un réchauffement des relations semble difficile à court terme en raison de l’affaiblissement du gouvernement sud-coréen après la destitution en décembre 2016 de la présidente Park Guen-hye, ouvrant une période d’incertitude jusqu’à l’élection d’un successeur.

Les atermoiements de Tokyo pour reconnaître l’esclavage sexuel dont furent victimes les « femmes de réconfort » enveniment régulièrement, depuis plusieurs décennies, les relations nippo-coréennes. Ce contentieux historique semblait avoir été réglé par l’accord qui se voulait « définitif et irréversible » entre la présidente Park Geun-hye et le premier ministre japonais, Shinzo Abe, en décembre 2015.

Ce contentieux historique semblait avoir été réglé par l’accord entre la présidente Park et le premier ministre japonais, Shinzo Abe, en décembre 2015

Dans un entretien téléphonique avec la présidente sud-coréenne, le premier ministre Abe avait alors présenté ses « excuses et ses remords sincères ». Le Japon s’engageait à verser un milliard de yens (8,8 millions d’euros) à une fondation afin de « restaurer l’honneur et de panser les blessures psychologiques » des victimes. En contrepartie, il demandait que soit retirée la statue représentant une « femme de réconfort » érigée devant son ambassade à Séoul en 2011, qu’il considérait comme une atteinte à la dignité nationale du Japon. Cette statue est non seulement restée en place, protégée 24 heures/24 par des militants, mais une réplique a été érigée à Busan le 28 décembre 2016 par un groupe de citoyens sans que le gouvernement sud-coréen intervienne, suscitant le courroux japonais.

Complaisance

Une nouvelle dissension entre la Corée du sud et le Japon sur la question des « femmes de réconfort » était prévisible. Les sondages indiquent que l’accord de décembre 2015 n’a jamais été accepté par l’opinion sud-coréenne, bien qu’une partie des 46 victimes survivantes aient donné leur accord pour recevoir l’indemnisation offerte par le Japon.

L’accord témoignait de compromis de part et d’autre. Le premier ministre Abe, qui avait critiqué auparavant la déclaration en 1993 du porte-parole du gouvernement, Yohei Kono, exprimant les remords du Japon dans cette affaire, reconnaissait la responsabilité de celui-ci. Tout en excluant l’implication directe de l’armée impériale dans le recrutement des « femmes de réconfort ».

En acceptant la version japonaise de l’enrôlement forcé des victimes – qui éludait néanmoins la responsabilité légale de l’armée dans cet esclavage sexuel –, Park Geun-hye prenait le risque d’être accusée de complaisance à l’égard du Japon. Les deux dirigeants sud-coréen et japonais étaient mis sous pression par Washington pour mettre fin à un contentieux qui, envenimant les relations entre les deux alliés des Etats-Unis, affaiblissait la stratégie américaine visant à contenir les ambitions chinoises dans la région.

La destitution de la présidente Park affaiblit le gouvernement sud-coréen et explique son inaction vis-à-vis des militants défendant la mémoire des « femmes de réconfort ». En essayant d’exonérer l’armée de toute responsabilité dans cet esclavage sexuel, le Japon, de son côté, risque de ne jamais tourner cette triste page de son histoire et d’exacerber le ressentiment des victimes coréennes mais aussi chinoises, indonésiennes et philippines : plus d’une vingtaine de monuments à leur mémoire ont été érigés en Corée du sud et une dizaine dans d’autres pays dont les Etats-Unis et le Canada.