LA LISTE DE NOS ENVIES

Au menu cette semaine : le dernier film d’Edouard Baer, un conte cruel japonais, un documentaire dans le camp de rétention de Holot en Israël et le film américain Birth of a Nation.

CONTE CRUEL DE LA VIE DE FAMILLE : « Harmonium », de Koji Fukada

Harmonium - Bande annonce HD VOST
Durée : 01:39

Toshio et sa femme Akie sont mariés, ils ont une petite fille. Un jour débarque un homme mystérieux, Yasaka, un ancien ami de Toshio, dont on comprend très vite qu’il sort de prison. Embauché par Toshio, qui lui offre également le gîte et le couvert, il aide la petite fille à répéter un futur récital à l’harmonium pour la fête de son école. Quant à Akie, celle-ci semble sexuellement attirée par lui, avant de se refuser à lui au dernier moment.

Contenus dans la première moitié de ce film, récompensé lors du dernier Festival de Cannes par le prix du jury Un certain regard, ces événements vont culminer par un déchaînement abrupt de violence. Yasaka agresse l’enfant et la laisse pour morte avant de s’enfuir. Huit ans plus tard, le couple vit dans le souvenir de ce qui a fait basculer leur vie. Handicapée à vie en raison des séquelles de l’agression, la petite fille est devenue une adolescente amorphe, attardée, clouée dans un fauteuil roulant. Toshio essaie de retrouver la trace de l’homme qui a détruit la vie de sa famille.

Cette deuxième partie dès lors va déployer une série de situations au terme desquels chacun vivra, devine-t-on, avec un intense sentiment de culpabilité. Décrivant une vie familière à la fois sans accroc mais aussi, visiblement, sans chaleur, Koji Fukada, dont c’est là le cinquième long-métrage, utilise à profusion les plans fixes, composés, captant l’ennui d’une vie quotidienne déjà lourdement chargée de secrets. En faisant d’Akie une pieuse protestante, sans doute donne-t-il, dès les premières minutes, les clés d’une vision du monde dominée par la conscience obscure d’une faute originelle. Pourtant, la cruauté du récit s’incarnera véritablement lorsqu’il mettra en place un certain nombre d’événements purement contingents. L’irréversibilité de toute chose semble ainsi rendre dérisoire la volonté d’effacer une action par une autre, fût-elle la vengeance. Jean-François Rauger

Film japonais de Koji Fukada. Avec Tadanobu Asano, Mariko Tsutsui (1 h 58).

DANS UN CAMP DE RÉFUGIÉ JE SUIS ENTRÉ : « Entre les frontières », d’Avi Mograbi

ENTRE LES FRONTIÈRES Bande Annonce (Documentaire Demandeurs d'Asile - 2017)
Durée : 01:53

Au fin fond du désert du Neguev, au sud d’Israël, des milliers de demandeurs d’asile en provenance d’Erythrée et du Soudan végètent dans le camp de rétention de Holot. Envoyés là par les autorités israéliennes en vertu d’une loi contraire à la convention internationale relative au statut des réfugiés, ils sont contraints de dormir sur place et de répondre à l’appel trois fois par jour sous peine d’être jetés en prison. En 2014, quelques mois après l’ouverture de ce camp, le metteur en scène de théâtre israélien Chev Alon et le cinéaste israélien Avi Mograbi se sont rendus sur place pour proposer aux réfugiés un atelier de théâtre. L’expérience est au cœur d’Entre les frontières.

Réalisé à la suite de Dans un jardin je suis entré, ce documentaire en est à la fois très éloigné par sa forme, et très proche dans sa démarche. Les deux films documentent en effet, à partir d’une entreprise collaborative, le travail, intime et politique, d’un cheminement vers l’autre. Ce faisant, chacun à leur manière (romanesque et sensuelle pour le premier, âpre et laborieuse pour celui-ci) ils opèrent un déplacement de perspectives qui invite à ne pas se résoudre à l’état des choses, aussi désespérantes et irrémédiables puissent-elles paraître, mais à les considérer comme contingentes et dès lors, transformables. Isabelle Regnier

Documentaire israélien-français d’ Avi Mograbi (1 h 24).

PARIS BY NIGHT : Ouvert la nuit, d’Edouard Baer

OUVERT LA NUIT Bande Annonce (Edouard Baer, Audrey Tautou - 2017)
Durée : 02:08

Avec une vigueur que lui envieraient sans doute bien des découpeurs électoraux, Edouard Baer a redessiné Paris pour Ouvert la nuit. Mais cette nouvelle cartographie de la capitale, qui fait avoisiner des lieux que la géographie a éloignés les uns des autres, communiquer des rues qui ne se sont jamais rencontrées dans la vraie vie, n’a aucune autre fin que le plus grand plaisir du créateur. De cet alliage naît une comédie souvent amère, qui s’approche parfois des abîmes qui attirent tant son protagoniste : les exigences cruelles de la création, le mensonge comme mode premier de communication, le jeu pervers avec l’argent (qui est de toute façon celui des autres).

Le metteur en scène et scénariste s’est octroyé le rôle de Luigi, directeur d’un théâtre parisien. A la veille de la première d’un spectacle dont la vedette est Michel Galabru (mort le 4 janvier 2016 et dont le dernier rôle à l’écran sera donc de se jouer lui-même), il manque encore, pour que la pièce soit réussie et que le rideau se lève à l’heure dite, un singe et les salaires de l’équipe. Assiégé par une équipe qui l’adule sans lui accorder une once de confiance, assisté par une alter ego souffre-douleur (Audrey Tautou, qui renoue avec la comédie), Luigi finit par s’évader du théâtre en compagnie de Faeza, stagiaire formée à Sciences Po (Sabrina Ouazani), à qui revient d’endosser le principe de réalité.

Infatigable (mais du coup un peu fatigant), Baer repousse l’échéance du désastre par une provocation, un tour de phrase bienvenu, un sourire dans un jeu de l’oie qui passe de l’onirisme au réalisme, de la fantaisie musicale à la comédie familiale, jusqu’à l’épuisement de toutes les ressources qu’offrait la situation de départ. Thomas Sotinel

Film français de et avec Edouard Baer. Avec Sabrina Ouazani, Audrey Tautou, Grégory Gadebois (1 h 37).

AUTANT EN EMPORTE LE SANG : « The Birth of a Nation », de Nate Parker

The Birth of a Nation - Bande annonce #1 [Officielle] VOST HD
Durée : 01:20

Réalisé en 1915, Naissance d’une nation, de David Wark Griffith, fut la première superproduction du cinéma américain, un immense succès public. Situé pendant la guerre de Sécession et la période de la reconstruction, le film montrait le Sud esclavagiste comme la victime de la convoitise nordiste et les Afro-Américains réduits en esclavage puis affranchis comme des animaux dangereux. La puissance d’évocation de Naissance d’une nation était telle, l’audience touchée si large, que son triomphe contribua grandement à la renaissance du Ku Klux Klan dans les années qui suivirent. Un siècle plus tard, The Birth of a Nation de Nate Parker fut lancé triomphalement au Festival de Sundance.

Mais ce film qui, dans un monde idéal, aurait pu en constituer le glorieux reflet, n’influera pas sur le cours de l’Histoire dans les mêmes proportions. D’abord, parce que son aura a été ternie par la révélation du suicide de la victime d’une affaire de viol survenue en 2001, dans laquelle le réalisateur et son coscénariste Jean McGianni Celestin, alors étudiants, avaient été mis en cause (le premier a été acquitté, la condamnation du second a été annulée en appel).

Ensuite, parce qu’il ne manque pas de défauts. Aux libertés prises avec l’Histoire au nom du spectacle s’ajoutent des facilités d’expression cinématographiques – montage accéléré, compositions sulpiciennes et une partition musicale – d’un mauvais goût effrayant. Pour autant, The Birth of a Nation mérite d’être vu. Dans l’histoire tourmentée de la représentation des relations entre communautés américaines au cinéma, le film de Nate Parker a le mérite de renverser radicalement le point de vue, en conduisant ses personnages jusqu’à la violence extrême par un autre chemin que ceux qu’emprunte généralement le cinéma américain. T. S.

Film américain de et avec Nate Parker. Avec Armie Hammer, Aja Naomi King, Colman Domingo (2 heures).