Guerre de communiqués entre le Vatican et l’Ordre de Malte
Guerre de communiqués entre le Vatican et l’Ordre de Malte
Par Cécile Chambraud
Depuis décembre, les deux institutions catholiques ne se parlent plus que par communiqués acrimonieux. Une querelle qui embrase la presse religieuse.
Le pape François Pope lors des célébrant la messe à la paroisse de Santa-Maria (Sainte-Marie) à Setteville, en périphérie de Rome, lors d’une visite pastorale le 15 janvier | VINCENZO PINTO / AFP
Le torchon brûle entre le Vatican et l’Ordre de Malte. Au point que, depuis décembre, ces deux vénérables institutions catholiques ne se parlent plus que par communiqués acrimonieux, le dernier ayant été publié par le Saint-Siège mardi 17 janvier.
Cette soudaine querelle embrase d’autant plus la presse catholique qu’elle pourrait se superposer à une autre, aussi vive, faite au pape par un groupe de cardinaux conservateurs qui lui reprochent d’être sorti du strict cadre de la doctrine dans son exhortation apostolique sur la famille en ouvrant l’accès aux sacrements pour les divorcés remariés.
Le déclenchement de l’affaire remonte au 6 décembre 2016. Ce jour-là, comme l’a raconté le quotidien catholique La Croix, le grand maître de l’Ordre souverain de Malte, fra' Matthew Festing, a exigé la démission de son grand chancelier (l’un des principaux responsables du gouvernement de l’Ordre), l’Allemand Albrecht von Boeselager. Devant le refus du grand chancelier d’obtempérer, le grand maître finit par le démettre de ses fonctions.
La raison de cette éviction ? Selon l’hebdomadaire catholique britannique The Tablet, elle serait à rechercher dans les préservatifs qu’Albrecht von Boeselager aurait distribués à des malades du sida pour prévenir des contaminations, du temps où il était responsable des questions humanitaires de l’organisation.
Fondé en 1048 à Jérusalem et actif dans quelque cent vingt pays
L’Ordre de Malte, dont l’origine remonte aux Croisades et qui a été fondé en 1048 à Jérusalem, est actif dans quelque cent vingt pays, où ses membres et bénévoles gèrent notamment des hôpitaux et des dispensaires. L’Allemand aurait expliqué dans un courriel avoir été limogé car trop « libéral ».
Le 22 décembre, le pape François avait demandé à une commission constituée de cinq prélats d’enquêter sur cette éviction. Le lendemain, l’Ordre religieux laïque avait, dans un communiqué, déclaré « inacceptable » cette décision du pontife argentin, le limogeage du grand chancelier étant « un acte de gouvernement interne de l’Ordre souverain de Malte et, par conséquent, relev [ant] uniquement de sa compétence ». L’Ordre est en effet un sujet de droit international (sans territoire), reconnu par plus d’une centaine d’Etats et régi par une charte constitutionnelle.
Le 10 janvier, le site de l’Ordre publiait un nouveau communiqué « en réponse aux activités menées par un groupe nommé par le secrétaire d’Etat [numéro 2] du Vatican ». Il y affirmait « l’insignifiance légale de ce groupe » et son intention de ne « pas coopérer avec lui ». Mardi 17 janvier, un communiqué du Saint-Siège, cette fois, a « confirmé » sa « confiance » dans les cinq membres du groupe nommé par le pape François « afin de l’infirmer sur la crise de la direction centrale actuelle de l’Ordre », priée de coopérer.
En outre, le texte rejette « toute tentative de discrédit sur les membres de ce groupe ». Cette dernière formule semble répondre à une lettre de fra' Matthew Festing à des membres de l’Ordre, divulguée par The Tablet, dans laquelle il accuse trois des membres de la commission d’être liés à « un fonds à Genève », ce qui les disqualifierait pour une mission impartiale.
Controverse sur les divorcés remariés
Déjà inusuel en soi, ce duel au grand jour vient se greffer sur une controverse dans l’Eglise sur les divorcés remariés, ancienne puisqu’elle avait nourri des mois de débats en 2014-2015 lors des deux synodes de l’Eglise catholique sur la famille, mais qui a repris de l’acuité fin 2016. En novembre, le vaticaniste Sandro Magister avait rendu publique une lettre adressée au pape François. Signée par quatre cardinaux connus pour leurs positions conservatrices, exprimées notamment à l’occasion des synodes, elle demandait au pontife de faire la lumière sur cinq points considérés comme obscures de son texte magistériel sur la famille, Amoris Laetitia.
Ces « dubia » (doutes, en latin) concernaient en particulier l’accès aux sacrements des divorcés remariés. Pour de nombreux lecteurs, Amoris Laetitia leur ouvrirait désormais cette possibilité dans certaines conditions. Cette innovation heurte les plus conservateurs. Le pape François n’a semble-t-il pas répondu à cette lettre. En revanche, dans un entretien au quotidien catholique l’Avvenire, il a critiqué « un certain rigorisme » concernant la famille : « Certains ne comprennent toujours pas, pour eux tout est blanc ou tout est noir, même si la vie aide à discerner. »
Le 30 novembre, lors de la journée mondiale contre le sida, il a par ailleurs appelé à ce que « tous adoptent des comportements responsables pour prévenir une propagation ultérieure de cette maladie ».
Or l’un des cardinaux auteurs de la lettre sur les dubia, le cardinal Raymond Burke, était présent le 6 décembre, au côté de fra' Matthew Festing, lors du limogeage d’Albrecht von Boeselager. Cet ultra-conservateur revendiqué avait été écarté de la curie par le pape François en 2014 et envoyé comme représentant auprès de l’Ordre de Malte – un poste essentiellement honorifique. Dans l’Eglise, la bataille de la famille continue.