Qu’est-ce que le Forum de Davos ?
Qu’est-ce que le Forum de Davos ?
Par Alexandre Pouchard
Chaque année depuis 1971, une petite commune suisse accueille les plus hauts dirigeants d’Etats, de gouvernements et d’entreprises pour le Forum économique mondial.
Chaque année depuis 1971, la petite commune suisse de Davos accueille les plus hauts dirigeants d’Etats, de gouvernements et d’entreprises pour le Forum économique mondial. | Michel Euler / AP
Chaque mois de janvier, la petite commune de Davos, dans l’est de la Suisse (12 000 habitants en temps normal), se transforme pendant quelques jours en centre économique scruté par le monde entier. Le Forum économique mondial, qui débute mercredi 20 janvier et se tient jusqu’à samedi, attirera cette année 2 800 personnalités, dont de nombreux chefs d’Etat ou de gouvernement et des dirigeants de grands groupes. Manuel Valls, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, son homologue britannique, David Cameron, ou encore la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, feront entre autres une apparition lors de cette édition 2016.
Qui organise le Forum ?
C’est une fondation à but non lucratif qui est à l’origine du Forum économique mondial, dont elle porte le nom (« World Economic Forum » en anglais, WEF). Fondée en 1971 par un économiste allemand, Klaus M. Schwab – qui préside encore l’organisation –, elle est financée par le millier de grandes entreprises qui en sont membres. On trouve parmi elles, pêle-mêle, ArcelorMittal, Google, Facebook, les français Total, Publicis, Sanofi, Engie, Veolia…
Décrite comme « indépendante » et « impartiale » dans ses statuts, elle compte près de 500 employés et est dirigée par un « conseil de la fondation » qui compte 23 membres, dont la Française Christine Lagarde. Son rôle premier est d’être le « gardien de la mission, des valeurs et de la marque » de la fondation, de décider de la stratégie de l’organisation, de nommer de nouveaux membres, etc. Bien que le règlement de la fondation affirme que le conseil doit « tendre vers la parité », il ne compte que six femmes pour le moment.
Combien ça coûte et qui paye ?
La Fondation dispose d’un budget annuel d’environ 200 millions de francs suisses (près de 200 millions d’euros). Un peu plus de la moitié est consacrée à l’organisation des forums (celui de Davos étant le principal, mais pas le seul), tandis que l’autre moitié sert à la rémunération du personnel, selon le rapport annuel 2013-2014.
Côté revenus, chaque entreprise adhérente verse une adhésion annuelle minimum de plus de 40 000 euros ainsi que plus de 18 000 euros pour que son PDG puisse participer au Forum de Davos, soit un total de près de 60 000 euros.
Les membres les plus importants (et les plus riches) peuvent devenir « Industry Associates », pour plus de 100 000 euros, « Industry Partners », pour plus de 200 000 euros, ou « Strategic Partners » au-delà de 400 000 euros. Ces statuts donnent droit à des privilèges pendant les forums (réunions et dîners privés, etc.) et la possibilité d’envoyer plusieurs représentants, expliquait en 2011 un article du New York Times traduit dans Courrier international. Ces adhésions représentent 39 % des recettes de la fondation, la majeure partie provenant des partenariats (sponsors).
Les participants « officiels » (dirigeants politiques, par exemple) sont, eux invités par la Fondation.
Qui est présent et de quoi parlent-ils ?
Le but du Forum, depuis sa première édition en 1971, a longtemps été de promouvoir un modèle de management européen – il s’appelait d’ailleurs « European Management Forum » jusqu’en 1987, date à laquelle il est devenu le « Forum économique mondial ». Son fondateur, Klaus M. Schwab, était impressionné par le modèle américain, notamment dépeint dans Le Défi américain du Français Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Quelque 400 chefs d’entreprise européens ont participé à la première réunion dans la petite station de Davos, choisie pour son isolement, sous le parrainage de la Commission européenne.
Selon l’article 3 de ses statuts, la fondation œuvre pour « améliorer l’état du monde » via « les collaborations entre public et privé ». Dans ce but, ses membres « identifient des problèmes au niveau mondial, régional et industriel, cherchent des solutions et, quand c’est possible, créent des partenariats pour agir ».
Chaque année, plusieurs thèmes sont sélectionnés pour les nombreuses conférences : lors de l’édition 2015 la « quatrième révolution industrielle », la situation économique de la Chine ou encore le développement durable. Outre des dirigeants d’entreprises et des chefs d’Etat et de gouvernement, des représentants de la société civile (ONG, universitaires, responsables religieux, personnalités du monde de la culture, etc.) seront également présents (liste complète disponible ici).
Nationalité des participants au forum de Davos, en 2016. | Le Monde
Pourquoi le Forum est-il critiqué ?
Le Forum de Davos a mauvaise réputation. Il est perçu comme la réunion des puissants et riches capitalistes – ce qu’il est en grande partie – réunis pour la défense d’un modèle qui les avantage. « Tous les acteurs de la compétition des temps modernes s’y retrouvent pour professer une même foi en un libéralisme de bon aloi : une louche de commerce international débridé et quelques cuillères à soupe de règles du jeu et d’éthique », écrivait Bernard Esambert, ingénieur et financier français, dans, Une vie d’influence (Flammarion).
« Il ne faut y voir rien de plus qu’une machine à café mondiale où des gens se rencontrent, bavardent, se serrent la main, échangent des tuyaux et s’en vont », affirmait de son côté Jacques Attali en 2009 dans le quotidien suisse La Liberté. Certains patrons de grands groupes, pourtant membres de la fondation, comme Facebook ou Google, ont cessé d’y aller chaque année. Une des principales multinationales mondiales, Apple, n’est même pas adhérente de l’organisation.
Mais le forum fait toutefois régulièrement preuve d’ouverture, en diversifiant le profil des participants. Ainsi, dès 2000, José Bové, alors nouveau héraut de l’altermondialisme, avait été invité, mais il avait préféré manifester dans la station suisse avant de participer, l’année suivante, au premier Forum social mondial, à Porto Alegre (Brésil).
Après la crise financière de 2008, M. Schwab avait appelé, en 2011 dans Le Monde, à « abandonner les excès du capitalisme pour plus d’engagement social ». L’économiste constatait notamment que « le capitalisme s’est déséquilibré » et avait « besoin d’être réformé ».
« La mise en œuvre spéculative de capital virtuel en comparaison à une utilisation du capital dans l’économie réelle a pulvérisé les limites de la raison et échappe à tout contrôle. (...)[Face à l’entrepreneur qui assume le risque de ses investissements], le manager a été associé aux intérêts des détenteurs de capitaux par un système de bonus exagéré, ce qui a perverti le système. (...)Le capital n’est plus le facteur de production décisif dans le système économique mondialisé. »
La fondation, qui publie régulièrement des rapports sur de nombreux thèmes, a plusieurs fois affiché sa préoccupation face à la « montée des inégalités » avec un « fossé persistant entre les revenus des citoyens les plus riches et ceux des plus pauvres » qui menace la stabilité mondiale.
Mais l’apport concret de ces études et des discussions chaque mois de janvier à Davos, lui, est difficilement quantifiable. En 2012, Mohamed El-Erian, gérant de l’un des plus gros fonds d’investissement au monde, Pimco, avait décrit le rassemblement comme « un prestigieux salon où l’on discute », qui veut « influencer la politique aux niveaux national et mondial » mais qui, « au fil des années et dans un monde de plus en plus instable et incertain, n’a pas eu beaucoup d’impact ».