« Heures sup » défiscalisées : une mesure populaire controversée
« Heures sup » défiscalisées : une mesure populaire controversée
Par Sarah Belouezzane, Bertrand Bissuel
Manuel Valls veut instaurer une variante du dispositif mis en place au début du quinquennat Sarkozy et supprimé en 2012.
Pascal Thébault dit avoir vécu cette décision « comme une injustice ». Chef de rang à la brasserie Lipp, à Paris, il garde un souvenir précis du jour où les heures supplémentaires ont cessé d’être défiscalisées et exonérées de cotisations. C’était en 2012, quelques mois après l’entrée en fonctions de François Hollande à l’Elysée. La suppression du dispositif, mis en place au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, a eu un impact tangible, en particulier dans le monde de restauration : les employés du secteur étant très souvent aux 39 heures, les quatre heures effectuées au-delà de la durée légale étaient payées en heures supplémentaires, ce qui était intéressant, financièrement parlant, puisqu’elles ne subissaient aucune ponction.
« Ça faisait environ 100 euros net en plus par mois », confie Pascal Thébault. Le gouvernement Ayrault a mis un terme à ce coup de pouce. « Evidemment, poursuit Pascal Thébault, la nouvelle a été dure à encaisser car nos salaires ne sont pas formidables. Le résultat se fera sentir en mai [lors de la présidentielle]. On ne peut pas passer au-dessus de ça. »
Montebourg privilégie une réduction de la CSG
Manuel Valls sait combien fut impopulaire l’abrogation de la défiscalisation des heures supplémentaires. Il l’a d’ailleurs reconnu, mardi 17 janvier, dans un entretien à Libération : « Quand nous avons supprimé cette disposition, très vite, des parlementaires socialistes nous ont mis en garde en nous disant que cela ne passait pas du tout auprès d’ouvriers ou de fonctionnaires qui avaient, du coup, perdu du pouvoir d’achat. » Voulant « tirer les leçons d’un certain nombre d’erreurs », l’ex-premier ministre propose donc de restaurer cette mesure, mais avec une variante : aucune réduction de cotisations patronales n’est octroyée, car cela inciterait « les chefs d’entreprise à recourir aux heures supplémentaires plutôt qu’à embaucher ».
En mai 2016, Arnaud Montebourg avait, lui aussi, indiqué que l’extinction du dispositif avait constitué une « erreur (…) parce que le pouvoir d’achat des personnes qui n’ont que leur travail pour vivre, généralement des salaires très modestes, s’en est ressenti ». Mais l’ex-ministre du redressement productif est contre son rétablissement et privilégie une diminution de la CSG pour stimuler le pouvoir d’achat, d’après son entourage.
Pour François Fillon, hors de question de réinscrire à l’ordre du jour cette mesure phare de la présidence Sarkozy, bien qu’il l’ait mise en place en qualité de chef de gouvernement. Si elle est réintroduite, « alors l’intérêt de négocier un allongement de la durée du travail disparaît », a-t-il justifié, le 14 janvier. Mais plusieurs ténors du parti Les Républicains (LR), dont Laurent Wauquiez, y sont favorables.
« Fort effet d’aubaine »
« C’est une fausse-bonne idée », estime Jean-Pierre Gorges, député (LR, Eure-et-Loir) et coauteur en 2011 (avec son collègue socialiste de l’Allier, Jean Mallot) d’un rapport très critique sur le dispositif. Celui-ci concluait notamment que « le nombre annuel d’heures supplémentaires n’[avait] pas connu de hausse significative et la durée moyenne effective du travail n’[avait] pas substantiellement augmenté ». Constatant un « fort effet d’aubaine », qui n’a profité qu’à une partie des salariés du privé et des fonctionnaires, les deux parlementaires trouvaient cette dépense – évaluée « à plus de 4,5 milliards d’euros » – « peu efficace » et déploraient qu’elle fût « financée par un surcroît de dette publique ».
La mesure « parle sans doute beaucoup, dans l’opinion, mais elle engendre un brouillage sur ce qu’est notre système de protection sociale, son mode de financement, explique Gilbert Cette, professeur associé à l’université d’Aix-Marseille. Car si les heures supplémentaires sont exonérées de cotisations et soustraites de l’assiette de l’impôt sur le revenu, il faut bien voir que c’est donc la collectivité qui paie pour soutenir le pouvoir d’achat. »
Si le dispositif s’applique au moment où le marché du travail est en berne, il risque, de surcroît, d’avoir des retombées négatives sur l’emploi. « Lorsque l’économie se porte mal, la défiscalisation des heures supplémentaires a tendance à inciter les chefs d’entreprise à augmenter le temps de travail de leurs salariés plutôt qu’à embaucher, car le coût est moindre », décrypte Eric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui vient de rédiger une note à ce sujet.
Les syndicats partagés
M. Valls pense répondre à cette objection en n’accordant aucune exonération de cotisation patronale. Mais la disposition va s’avérer moins attractive, du même coup, en l’absence de « carotte » pour les employeurs. Or, ce sont eux qui décident, in fine, s’il faut recourir ou non aux heures supplémentaires.
Du côté des syndicats, les avis sont partagés. « Tout ce qui améliore les rémunérations des salariés est bon à prendre car celles-ci sont faibles dans la restauration et dans la distribution, affirme Dejan Terglav, responsable de la Fédération FO des travailleurs de l’alimentation. Nous préférerions que tout cela passe par des augmentations générales mais elles ne seront pas accordées. Nous sommes contents de constater que la suppression, en 2012, du dispositif est vue comme une erreur, aujourd’hui. »
A l’inverse, la CGT est contre : « Défiscaliser et exonérer de cotisations les heures supplémentaires revient à mettre en difficulté la Sécurité sociale et son concept », déclare Fabrice Angeï, membre du bureau confédéral de la centrale de Philippe Martinez. Pour soutenir le pouvoir d’achat, mieux vaut « relever le smic à 1 800 euros bruts par mois, lutter contre les inégalités salariales entre les hommes et les femmes et faire en sorte qu’il y ait une vraie reconnaissance des qualifications », ajoute-t-il.
Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin trouve que le dispositif était « à l’époque une très bonne chose pour nos salariés ». Comme il ne dégradait pas les marges des entreprises, « chacun y avait intérêt ». « Il est parfois difficile de trouver certaines compétences sur le marché du travail donc le recours aux heures supplémentaires permet de résoudre un tel problème », complète M. Asselin. Mais attention aux équilibres budgétaires. « Il faut de la cohérence, martèle-t-il. Nous en avons assez du clientélisme. »