Au Brésil, mort d’un juge anticorruption qui instruisait l’enquête « Lava Jato »
Au Brésil, mort d’un juge anticorruption qui instruisait l’enquête « Lava Jato »
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
La disparition de Teori Zavascki fait craindre un ralentissement des investigations dans le plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays.
Michel Temer, aux funérailles du juge anticorruption Teori Zavascki, à Porto Alegre, le 21 janvier. | JEFFERSON BERNARDES/AFP
Sergio Moro est arrivé parmi les premiers aux obsèques de son confrère, à Porto Alegre. Peiné et soucieux, le juge brésilien, « shérif de l’anticorruption », a salué, samedi 21 janvier, un homme décrit par ses pairs comme sérieux, impartial et humble. « Teori fut un véritable héros », a-t-il dit avant de lâcher en aparté, selon le quotidien La Folha de Sao Paulo : « Tout n’est pas perdu. »
La mort accidentelle, deux jours plus tôt, de Teori Zavascki, 68 ans, juge de la Cour suprême chargé d’instruire pour les personnalités politiques en poste l’enquête dite « Lava Jato » (lavage express) – cette opération impliquant le groupe pétrolier Petrobras qui a mis au jour le plus grand scandale de corruption de l’histoire du Brésil – plonge le pays dans un profond désarroi. Cette disparition peut-elle compromettre l’enquête qui affole le tout-Brasilia ?
Teori Zavascki était une sorte de « binôme » du juge Moro, ce dernier étant responsable de « Lava Jato » pour les citoyens ordinaires. La mort brutale du magistrat, ainsi que quatre autres personnes, dans le crash en mer d’un petit avion à quelques kilomètres des côtes de la ville touristique de Paraty, pourrait changer le cours de l’histoire.
L’avenir de l’enquête dépendra en grande partie du successeur de Teori Zavascki à la Cour suprême. Qui sera-t-il ? Le droit brésilien fait planer l’incertitude sur le nom de l’élu et sur la personne qui le désignera. « Deux règles entrent en conflit », explique Daniel Vargas, professeur de droit à la Fondation Getulio-Vargas à Rio de Janeiro.
La première veut que le successeur du magistrat soit désigné par le président Michel Temer. Mais cette hypothèse sent le soufre : le chef de l’Etat fait partie des suspects de « Lava Jato ». La deuxième option, plus plausible et acceptable aux yeux de l’opinion, serait que la présidente de la Cour suprême, Carmen Lucia, redistribue la charge de M. Zavascki auprès de ses pairs. La situation exceptionnelle le lui autorise. Le profil idéal, offrant la garantie d’une continuité de l’enquête, serait celui de Marco Aurelio Mello, juge qui s’est distingué fin 2016 en réclamant la suspension du mandat de Renan Calheiros, président du Sénat mis en cause dans diverses affaires.
Quelle que soit l’issue du processus, la mort tragique de M. Zavascki retarde l’opération à un moment où le Brésil retenait son souffle, en attendant des révélations de la part de protagonistes du scandale : celles de Marcelo Odebrecht, propriétaire d’un groupe de BTP, et d’ex-cadres de l’entreprise. Leurs aveux, concédés en échange de remises de peine, menacent une kyrielle de caciques politiques, y compris M. Temer.
Théories complotistes
Fin 2016, les confidences d’un ancien d’Odebrecht avaient déjà fuité dans la presse, laissant entendre que l’actuel président aurait reçu des mallettes d’argent pour le financement de campagnes de son parti, le Parti du mouvement démocratique brésilien (centre).
« Michel Temer obtient un sursis qui pourrait bouleverser son mandat », observe le politologue Mathias de Alencastro, qui qualifiait il y a quelques mois le chef d’Etat de « président zombie ». Mais la plupart des opposants de M. Temer peuvent difficilement s’offusquer de ce coup de théâtre. La gêne perce notamment au sein du Parti des travailleurs (PT, gauche) qui qualifiait jusqu’ici « Lava Jato » de manœuvre calomnieuse destinée à briser la carrière politique de l’ex-président, Luiz Inacio Lula da Silva.
Sous le choc et incrédule, le Brésil se laisse en partie séduire par les théories complotistes. La presse rappelle ainsi que « Lava Jato » est souvent comparée à l’opération « Mains propres », en Italie, qui avait coûté la vie au juge Giovanni Falcone, en 1992. Bien que soulignant les conditions météorologiques mauvaises lors du vol, les médias brésiliens rapportent aussi les propos du fils du défunt évoquant les menaces de mort reçues par son père. Sur les réseaux sociaux, certains internautes conseillent maintenant au juge Sergio Moro de rester sur ses gardes.