Dépendance : les propositions des candidats à la présidentielle
Dépendance : les propositions des candidats à la présidentielle
LE MONDE ECONOMIE
Décryptage des projets des principaux candidats pour la prise en charge de la dépendance. Un défi face au vieillissement de la population française.
Le Monde.fr
« Care of the elderly is a yardstick of a civilised society », dit un proverbe anglais, ce qui signifie « on mesure le degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses aînés. » L’inévitable augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, conséquence du vieillissement de la population française, constitue un défi pour notre modèle social, déjà ébranlé par la crise. Dans un rapport publié en octobre intitulé « Quelles politiques publiques pour la dépendance ? », le Conseil d’analyse économique (CAE) dresse un état des lieux inquiétant. L’estimation du nombre de personnes de plus de 60 ans en situation de perte d’autonomie varie de 1,24 million, si l’on se réfère au nombre de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), jusqu’à 3,3 millions selon une mesure épidémiologique. Un chiffre qui pourrait augmenter de 500 000 personnes d’ici à 2030. « Le coût engendré par la dépendance pour les soins, l’hébergement et l’aide informelle des familles se situe entre 41 milliards et 45 milliards d’euros par an, dont 23,5 milliards, soit un peu plus d’un point de PIB, relèvent de la dépense publique », rappellent les auteurs de l’étude. Compte tenu des évolutions démographiques, ce coût devrait augmenter de 0,3 % à 0,7 % point de PIB d’ici à 2040.
Des progrès insuffisants
Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, la loi pour l’adaptation de la société au vieillissement comporte des avancées significatives : Portée par Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, puis par Laurence Rossignol, celle-ci a permis de réévaluer le montant de l’APA à domicile. Depuis le 1er janvier 2017, la loi a aussi instauré un statut de « proche aidant » qui repose sur un « droit au répit » et un congé non rémunéré.
Mais ces progrès, aussi louables soient-ils, restent insuffisants pour répondre aux enjeux. Le neuvième baromètre de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (Ocirp), publié en partenariat avec Franceinfo et Le Monde, montre que les Français en sont de plus en plus conscients. Comment pourrait-il en être autrement, quand la moitié d’entre eux ont déjà dû faire face à la perte d’autonomie d’un membre de leur famille ? Qu’expriment les sondés ? La plupart plébiscitent le maintien à domicile des personnes dépendantes, mais un sur deux estime que la famille ne pourra pas l’assumer. Quant au placement dans un établissement spécialisé, dont le coût dépasse largement le montant moyen des retraites, il reste hors de portée de la plupart de nos concitoyens.
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Sur la question centrale du financement, un consensus se dessine. Profondément attachés au principe de solidarité nationale, mais conscients que les finances de l’Etat sont en berne, les deux tiers des Français sont favorables à une solution hybride : un socle public complété par des assurances. Mais quelles formes doivent-elles prendre ? Les assurances privées, qui trient les assurés en fonction de leur profil de risque, peinent à convaincre. Pour la professeure Françoise Forette, spécialiste en gériatrie, l’assurance dépendance doit être obligatoire et publique dès le premier salaire, les assurances privées pouvant intervenir à titre complémentaire. « C’est la seule façon de mutualiser les risques, insiste-t-elle. Dans la mesure où 8 % seulement des plus de 60 ans deviennent dépendants, cela ne représente qu’une cotisation de quelques dizaines d’euros par mois pour chaque salarié, c’est supportable ! » Une vision partagée par Jean-Manuel Kupiec, directeur général adjoint de l’Ocirp, qui précise : « Compte tenu des difficultés rencontrées par les jeunes, il est difficile de leur demander des cotisations supplémentaires. Chacun devrait commencer à cotiser à partir de 40 ou 50 ans. »
Pour la première fois, nous avons demandé aux principaux candidats à l’élection présidentielle de nous livrer leurs propositions au sujet de la prise en charge de la dépendance. Presque tous ont joué le jeu. Ni Manuel Valls ni Emmanuel Macron n’ont répondu à nos questions. Ce dernier ne dévoilera son programme que dans plusieurs semaines.
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Jean-Luc Mélenchon : créer 50 000 places en Ehpad
Pour La France insoumise, augmenter les plafonds d’aide de l’APA va dans le bon sens, mais reste très « cosmétique » au regard des enjeux que représente la dépendance des personnes âgées. « Il faut aller vers un service public du soin dans lequel la prise en charge de la dépendance aura toute sa place », explique Charlotte Girard, coresponsable du programme de La France insoumise. Et de poursuivre : « Nous proposons de développer un réseau public de maisons de retraite avec des tarifs harmonisés et accessibles en créant 10 000 places par an en Ehpad pendant cinq ans, soit 50 000 places pendant le mandat. » Le programme défendu par M. Mélenchon prévoit de réduire le reste à charge de 500 euros par mois pour les personnes en établissement et d’augmenter de 50 % le montant de l’APA pour ceux qui restent à domicile. A cela s’ajoute la formation du personnel nécessaire, soit au moins 100 000 personnes. Et du côté du financement ? Les pistes de l’impôt et de la cotisation sont privilégiées. Plutôt qu’une journée de solidarité nationale, Jean-Luc Mélenchon préfère une « journée de solidarité des riches ». Pas question d’une prise en charge de la dépendance par des organismes privés qui vont inéluctablement faire payer plus cher et sélectionner les meilleurs services pour les privilégiés. Donc, à l’évidence, pas d’incitation fiscale pour favoriser les assurances privées. « Ce sera la Sécurité sociale intégrale », promet-il.
Benoît Hamon : réguler l’offre d’accueil pour des tarifs accessibles à tous
Benoît Hamon veut « consacrer l’argent public à construire des Ehpad modernes, à recruter des personnels soignants, à mieux les rémunérer et les former ». Constatant le niveau très inégal des soins et l’insuffisante de l’offre dans ces établissements, il fait une priorité de la création de nouvelles places d’accueil « à des tarifs maîtrisés et accessibles à tous ». Réguler l’offre doit permettre de diminuer le reste à charge payé par les familles, estime-t-il. M. Hamon se démarque aussi par l’importance qu’il accorde à la prévention. Il veut faire une priorité de la pratique du sport et des activités physiques. « Cela peut améliorer la qualité de vie des personnes âgées et maintenir leur autonomie. Je propose le remboursement par l’Assurance-maladie de ces activités physiques adaptées lorsqu’elles sont prescrites par un médecin pour une personne souffrant d’une maladie chronique », déclare-t-il. Concernant le financement de la dépendance, M. Hamon veut faire entrer cette problématique dans le cadre général du revenu universel d’existence (RUE), pierre angulaire de son programme. « Je crois qu’il faut aller au bout de la logique d’universalisation de notre protection sociale, dit-il. Chacun doit pouvoir être aidé indépendamment de son statut social. » M. Hamon se dit opposé à l’idée de créer une journée de solidarité pour financer la dépendance. Il n’écarte pas totalement les assurances privées, « qui pourraient venir compléter utilement les aides publiques », mais n’envisage pas pour autant d’incitations fiscales. Sa préférence va à l’intégration obligatoire d’une assurance dépendance dans les complémentaires santé et prévoyance, comme le font certaines mutuelles.
Manuel Valls : faire plus pour l’autonomie des personnes âgées
La dépendance des personnes âgées ne semble pas faire partie des priorités de Manuel Valls, qui n’a pas répondu à notre questionnaire. Son programme n’en parle quasiment pas. A ce stade, M. Valls n’a pas encore formulé de proposition concrète sur le vieillissement. Dans la partie consacrée à la santé, il s’engage néanmoins à « faire plus pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes vivant avec un handicap », mais cette annonce n’est pas étayée. C’est d’autant plus surprenant que le gouvernement qu’il dirigeait avait fait une priorité de la lutte contre le handicap, un sujet connexe. M. Valls promet aussi de revaloriser les petites retraites, ce qui aurait un impact sur le reste à charge des personnes dépendantes les plus modestes. Autre piste, il veut doubler le budget de la prévention santé. S’il est opposé au revenu universel d’existence (RUE), cher à Benoît Hamon, M. Valls voudrait fusionner tous les minima sociaux pour créer un « revenu décent » pour tous, « attribué sous conditions de ressources, à toute personne âgée de plus de 18 ans et résidant régulièrement sur le territoire national ». « Il permettra de remettre de l’ordre dans les outils de la solidarité nationale, de les rendre plus lisibles et équitables », dit-il. Les aides à la dépendance seraient-elles englobées dans cette enveloppe ? C’est probable, mais il est encore trop tôt pour l’affirmer…
François Fillon : encourager l’assurance privée individuelle
Le groupe de travail de François Fillon n’a pas terminé de peaufiner son programme sur la question des mesures pour prendre en compte le vieillissement de la population française. Toujours est-il qu’une position de principe est adoptée. Ne pas aggraver les déficits publics, et donc ne pas créer un cinquième risque ou une cinquième branche financé par l’impôt ou des cotisations supplémentaires. La couverture individuelle serait encouragée par l’octroi d’un coup de pouce fiscal sous forme de dégrèvement. On se souvient que Nicolas Sarkozy, alors que François Fillon était premier ministre, avait promis la mise en place d’une « nouvelle dimension à notre pacte social ». Dans son discours du 8 février 2011 au Conseil économique, social et environnemental (CESE), M. Sarkozy affirmait que « pour la prise en charge de la dépendance, il nous faut inventer autre chose que le modèle traditionnel de couvertures de risques par la Sécurité sociale ». Et d’ajouter : « Quelle que soit la couverture de ce risque, quel que soit le mode de financement, je souhaite qu’elle obéisse aux principes d’universalité et de paritarisme qui gouvernent les quatre branches de la Sécurité sociale. » Alors, place à un partenariat public-privé ? Un rôle accru des assureurs privés ? Des mutuelles et institutions de prévoyance ? La question reste ouverte… On devrait en savoir davantage dans les prochains jours.
Nicolas Dupont-Aignan : un budget de 5 milliards d’euros
La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement n’est pas suffisante. Tel est le constat de Nicolas Dupont, qui poursuit : « Il me paraît nécessaire de prévoir 5 milliards d’euros supplémentaires au cours du prochain quinquennat. » Pour les financer, Debout la France envisage de récupérer 2 milliards d’euros en faisant des économies sur les trois millions de journées d’hospitalisation des personnes âgées, jugées souvent inutiles. Et 3 milliards d’euros en luttant contre les fraudes sociales et fiscales. Par ailleurs, M. Dupont-Aignan estime qu’il faut mettre davantage l’accent sur la formation de professionnels de santé et des services à la personne, l’adaptation de l’habitat et des structures d’accueil. Egalement au programme : valoriser les aidants, mieux organiser l’aide à domicile pour la favoriser et doter de davantage de personnel les Ehpad… Le maire de Yerres veut aussi soutenir davantage les aidants familiaux pour éviter qu’ils arrêtent de travailler. Il propose de mettre en place pour eux des formations prises dans le cadre d’un congé individuel de formation (CIF) ou d’un compte personnel de formation (CPF). Pour favoriser l’essor de la « silver économie », Debout la France mettra en place un fonds national pour l’innovation orienté vers l’éducation thérapeutique et les actions de prévention.
Marine Le Pen : doter la Sécurité sociale d’une cinquième branche
Pour Marine Le Pen, la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement ne va pas assez loin. En particulier parce que ce dispositif ne permet pas de résorber les inégalités sociales face à la perte d’autonomie des personnes âgées. Elle entend, d’une part, développer les politiques de prévention en amont, mais aussi accélérer la mise en conformité des bâtiments qui reçoivent du public aux normes d’accessibilité. Elle veut maintenir le lien social de ceux qui sont isolés en développant les missions de services civiques par l’intermédiaire des associations locales. Mais la mesure phare qu’elle souhaite prendre au cours de son mandat est la création d’un cinquième risque de Sécurité sociale consacré à la dépendance et au handicap pour que tous les Français puissent être pris en charge sans considération financière. Contrairement à François Fillon, la candidate frontiste déclare être opposée à la promotion d’assurances privées en la matière, même labellisées. Ce serait, dit-elle, « s’adresser seulement aux Français les plus favorisés, sans oublier que les incitations fiscales n’ont aucun caractère contraignant ». Côté financement, pas de recours à une journée de solidarité non rémunérée, jugée indécente au regard des plus de 9 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Pour financer, poursuit-elle, « il faut lutter contre la fraude, mieux gérer le système de protection sociale, imposer un délai de carence pour l’accès aux soins des étrangers en situation régulière ». Afin de soutenir les aidants, Marine Le Pen envisage l’octroi d’un trimestre de retraite pour cinq trimestres consacrés à l’aide d’un proche dépendant ainsi que d’un élargissement du droit au répit. Pour développer la silver économie, son programme prévoit la création d’un fonds d’investissement 100 % public en partenariat avec la Banque publique d’investissement, car, selon elle, « nous avons un vivier de jeunes ingénieurs innovations, chercheurs et entrepreneurs qu’il faut aider pour le bien de nos aînés ».
Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec l’Ocirp, Franceinfo et LCP.