Les partisans d’une interdiction des armes nucléaires veulent mobiliser
Les partisans d’une interdiction des armes nucléaires veulent mobiliser
Par Nathalie Guibert
Les ONG promeuvent à l’ONU la négociation internationale d’un « instrument juridiquement contraignant » visant à abolir ces armes de destruction massive.
Lors d’une manifestation antinucléaire, à Londres, en juillet 2016. | DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Après avoir décrit le spectacle de parents, d’enfants et de vieillards atrocement carbonisés par une bombe atomique, Beatrice Fihn lance : « D’ici à quelques années, les armes nucléaires seront interdites par la loi internationale, que cela plaise à la France ou non. » Responsable de la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), qui promeut depuis 2007 un traité d’interdiction pure et simple, Mme Fihn s’exprimait, lundi 23 janvier, lors d’un colloque dans les locaux de l’Assemblée nationale. Elle ne parle ni désarmement, ni stratégie militaire, ni instabilité du monde à l’heure où le nouveau président américain, Donald Trump, nourrit les inquiétudes.
C’est la moralité, ou plutôt l’immoralité reprochée à cette arme de destruction massive encadrée par de nombreux traités internationaux, qui forme l’angle d’attaque radical des ONG promouvant actuellement à l’ONU la négociation internationale d’un « instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires ». Fin octobre 2016, 123 Etats ont voté une résolution pour « faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire ».
Appel à la transparence
Cette initiative, parallèlement appuyée par des campagnes pétitionnaires, doit faire l’objet d’une première conférence, fin mars, à l’ONU. Elle a été évoquée par plusieurs associations françaises lors du colloque organisé sous la houlette de l’ancien ministre de la défense Paul Quilès. Celui-ci préside l’Initiative pour le désarmement nucléaire (IDN), un regroupement français d’ONG, et vient d’interpeller les candidats à l’élection présidentielle. La France ni aucun des Etats dotés de l’arme atomique au sens du traité de non-prolifération ne participent aux discussions onusiennes sur l’interdiction.
Ces Etats légalement dotés sont tous en train de moderniser leur arsenal, tandis que l’Inde ou le Pakistan ont étoffé le leur, a rappelé lundi l’ancien secrétaire britannique à la défense Desmond Browne, un travailliste, vice-président de Nuclear Threat Initiative : « Nous sommes dans une ère de course aux armements. »
En Allemagne, « des voix se sont exprimées récemment pour étudier l’option nucléaire, cela donne la mesure de l’onde choc de l’élection de Donald Trump », a souligné Oliver Meier, chercheur associé à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, à Berlin. Selon lui, à mesure que la sûreté et la précision des armes nucléaires s’améliorent, le risque de leur éventuelle utilisation intentionnelle s’accroît. « Il n’est pas possible d’interrompre les cycles de modernisation des armes, car ils ont une grande inertie, il faut pousser les Etats à être plus transparents sur ces programmes », dit-il, en plaidant pour un agenda de discussion des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Chine, France, Royaume-Uni et Russie) sur ce sujet.
« La campagne pour l’interdiction est partie d’un seul argument, les conséquences humanitaires de l’arme nucléaire », déplore en retour le diplomate Eric Danon, directeur général adjoint des affaires politiques au Quai d’Orsay. Dans le contexte actuel, celui d’une forte remise en cause du multilatéralisme et d’une prolifération des armements, cet officiel adhère à l’analyse de Raymond Aron selon laquelle la dissuasion « contient l’extrême violence », dans les deux sens du terme « contenir » (inclure et limiter).
« Le nucléaire n’est pas prêt de disparaître des confrontations violentes futures, estime-t-il, et les antinucléaires doivent admettre le monde tel qu’il est : avec la défense élargie de l’OTAN et de l’Asie, cette arme bénéficie à la majorité de la population mondiale. Cette situation explique la lenteur du désarmement nucléaire, il faut prendre le monde tel qu’il est. »
Puisque les crédits de la dissuasion française, selon les projections des programmes de renouvellement des armes océaniques et aériennes, doivent doubler dans la décennie 2020, l’élu centriste Hervé Morin, lui aussi ancien ministre de la défense, demande « simplement que le débat soit posé » dans le cadre de l’élection présidentielle : « Il faut répondre à la question de savoir pourquoi, au nom des deux concepts fondamentaux de la dissuasion, la “foudroyance” de l’arme et de l’“incertitude nécessaire sur nos intérêts vitaux”, nous sommes obligés de nous engager dans certains programmes – armes plus pénétrantes, plus résistantes, de portée plus grande. »