Un cas atypique de variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
Un cas atypique de variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
Par Paul Benkimoun
Cette maladie liée à l’agent de la maladie de la vache folle a été découverte au Royaume-Uni chez un homme au profil génétique inhabituel.
C’est un cas isolé, mais qui force à s’interroger. Deux chercheurs de l’University College de Londres rapportent dans une lettre, publiée jeudi 19 janvier par le New England Journal of Medicine, avoir identifié un cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ), celle résultant d’une infection par l’agent de la maladie de la vache folle, chez un homme de 36 ans, décédé en février 2016. Contrairement aux 223 personnes dans le monde – 177 au Royaume-Uni et 27 en France – chez lesquelles le diagnostic a été établi, le patient avait des caractéristiques génétiques inhabituelles.
La vMCJ est due à un agent infectieux non conventionnel puisqu’il n’est pas doté de matériel génétique, comme le sont les bactéries, les virus ou les levures. Il s’agit d’une protéine, présente à l’état normal dans le cerveau et la moelle épinière et impliquée dans le développement neurologique de l’embryon, mais ayant pris une configuration anormale en se repliant, ce qui la rend pathologique. A un endroit particulier de sa chaîne, la protéine normale peut avoir l’un ou l’autre de deux acides aminés : une méthionine (Met) ou une valine (Val). Cela est déterminé par le gène de la protéine prion. Chaque individu, héritant de chacun de ses parents, peut donc avoir l’une de ces combinaisons à l’emplacement concerné (le codon 129) : Met-Met, Met-Val ou Val-Val.
Uniquement des homozygotes
Jusqu’ici, toutes les personnes (quasiment toutes mortes) ayant présenté une vMCJ dans le monde étaient des homozygotes Met-Met. Or l’homme dont le cas est rapporté par les deux chercheurs de l’University College est un hétérozygote : Met-Val. Il avait été adressé au Centre national de référence des prions britannique en août 2015 en raison de modification de sa personnalité. Il était devenu irascible, avait des troubles croissants de la mémoire et de la marche. Les signes cliniques et l’imagerie par IRM ne semblaient pas devoir le faire classer sous le diagnostic de vMCJ, mais après son décès, l’examen anatomopathologique de son cerveau et l’identification moléculaire de la souche à l’origine de sa maladie réorientaient les conclusions des chercheurs.
Ces derniers s’interrogent : « On ne sait pas encore si ce cas marque le début d’une seconde vague de vMCJ chez des personnes ayant le génotype Met-Val au codon 129 de la protéine prion [la forme la plus répandue au Royaume-Uni], ce qui refléterait les périodes d’incubations longues observées chez les personnes ayant un génotype Met-Val qui ont acquis une maladie à prion. » Dans la population normale, on dénombre 50 % d’hétérozygotes Met-Val et 50 % d’homozygotes : 40 % de Met-Met et 10 % de Val-Val.
Faible probabilité de nouveaux cas
Pour Annick Alpérovitch, épidémiologiste et directeur de recherche émérite à l’Inserm, « il est évident que d’autres cas de vMCJ peuvent survenir chez des sujets Met-Val. Cela a toujours été considéré comme possible du fait d’une plus longue durée d’incubation chez les Met-Val pour les cas de MCJ dus à l’hormone de croissance contaminée ou kuru ». Pour autant, Mme Alpérovitch estime peu vraisemblable qu’il y en ait beaucoup : « Ce que l’on sait sur la vMCJ et les autres formes de MCJ rend ce scénario peu probable. Le génotype Met-Val est effectivement plus fréquent que le Met-Met, mais le risque de maladie à prions – qu’il s’agisse de MCJ classique ou de MCJ iatrogène [hormone de croissance contaminée], est beaucoup plus faible chez les hétérozygotes que chez les homozygotes. »
Dernier point d’interrogation découlant de la publication britannique, des variants Met-Val auraient-ils pu être diagnostiqués comme des cas sporadiques, c’est-à-dire la forme classique de la maladie ? « On ne peut l’exclure, explique Mme Alpérovitch, mais je doute qu’il y en ait eu beaucoup. Surtout si, comme ce patient, les cas de variant MV sont jeunes par rapport à l’âge habituel des cas sporadiques, les examens post-mortem étant plus fréquents chez les cas jeunes. Au passage, vu l’âge de ce patient – 36 ans – et la durée (probable) d’incubation (plus de 20 ans), ce cas ne remet pas en cause l’hypothèse que les infections par l’agent du vMCJ ont eu lieu majoritairement dans l’enfance ou l’adolescence. »
L’avenir et la surveillance épidémiologique maintenue diront si nous serons confrontés à une nouvelle vague de cas ou si les craintes d’une déferlante de vMCJ étaient infondées.