Chase Carey, patron de la F1 mondiale, ici lors du Grand Prix de Mexico, le 30 octobre 2016. « J’ai rencontré beaucoup de gens », a-t-il témoigné à la BBC le 24 janvier. | MARRK THOMPSON / AFP

Bernie Ecclestone, l’ex-patron de la Formule 1, n’a jamais eu la réputation d’être tendre en affaires. Il semble toutefois avoir trouvé son maître, lundi 23 janvier, après avoir été débarqué, avec trois ans d’avance, par le nouveau propriétaire, Liberty Media, pour être remplacé par Chase Carey. Même si le groupe américain avait officialisé, le 17 janvier, son rachat de la FOG (Formula One Group), dirigée par Ecclestone, ce dernier pensait bien assurer la transition encore trois années.

« Bernie, mega job ! Mais on avait un changement de retard », a tweeté Nico Rosberg, champion du monde en titre, mardi 24 janvier, dès que l’annonce de l’éviction anticipée de M. Ecclestone a été rendue publique. Le jeune retraité de la F1, se sentant peut-être plus libre que tout autre de s’exprimer, a aussitôt émis un souhait pour l’avenir : « M. Carey, meilleurs vœux, que notre sport redevienne génial. »

Développer le digital

Beaucoup dans le monde de la F1 comptent sur Liberty Media et sur son expérience dans le digital et les médias pour redynamiser la discipline reine de la course automobile. La première proposition du groupe américain va dans ce sens, puisqu’il s’agit de développer des applications numériques mêlant les courses à la réalité augmentée et virtuelle, afin d’attirer un nouveau public, mais aussi de séduire d’autres annonceurs.

Un domaine immatériel dans lequel Bernie Ecclestone admettait lui-même être dépassé. Il en avait fait un pamphlet contre la jeunesse, en 2010. Ses équipes réclamaient alors une meilleure diffusion de la F1 sur les réseaux sociaux, afin de capter un public plus jeune. « Twitter, Facebook, et tout ce que peut être ce non-sens, ne m’intéressent pas, avait-il répondu par l’intermédiaire de l’agence de communication Campaign Asia-Pacific. J’ai tenté de comprendre, mais de toute façon je suis trop à l’ancienne. » L’octogénaire assumait donc de préférer « viser la personne de 70 ans, parce qu’elle a beaucoup d’argent. »

« Il dit lui-même qu’il est un dictateur. Il a dirigé comme un dictateur pendant longtemps […]. [La F1] a besoin d’un regard neuf », a renchéri Chase Carey dans une interview à la BBC mardi 24 janvier, avant de s’engager à ne pas travailler en « one-man-show », à la manière du milliardaire de 86 ans.

Grand Prix à New York, Los Angeles, Miami ou Vegas

Deuxième axe de développement proposé par Liberty Media, redessiner la carte mondiale des Grands Prix. L’ère Ecclestone a développé la F1 soit vers des territoires attrayants pour les constructeurs et les sponsors, comme l’Asie (Malaisie, Singapour, Shanghaï) et l’Amérique du Sud (Mexico, Interlagos), soit dans des pays qui cherchaient une reconnaissance internationale, comme l’Azerbaïdjan – d’où le récent et étonnamment dénommé Grand Prix d’Europe de Bakou – ou la Russie, soit vers des pays simplement très riches, comme Bahreïn et Abou Dhabi. Au détriment de certains pays européens, comme l’Allemagne.

Parallèlement, Chase Carey a affirmé à la BBC que Liberty souhaite ajouter au Grand Prix des Etats-Unis d’Austin un Grand Prix couru en ville, à New York, Los Angeles, Miami ou Las Vegas. Le groupe américain connaît le potentiel inexploité de son pays en matière de sports mécaniques. Pour assurer la rentabilité pour les circuits, il annonce l’organisation d’événements médiatiques en marge de la course. La France devrait également effectuer son retour après dix ans d’absence au calendrier du Championnat du monde à l’été 2018.

« Ce que j’aimerais avoir, c’est 21 Super Bowls », a-t-il enchaîné. « Nous avons des grandes courses, comme Singapour, le Mexique et Abu Dhabi, mais nous devons faire en sorte que toutes les courses dégagent une énergie et une excitation qui les rendent vraiment des événements uniques. »

Plus de sport, de spectacle

Pour cela il faut endiguer la perte d’intérêt dont se plaignent pilotes et spectateurs. « Je suis allé parler à beaucoup de gens, j’ai entendu beaucoup de choses sur la prévisibilité, les règles trop compliquées, les ingénieurs qui dépassent les conducteurs, les moteurs qui pourraient être plus rapides, moins chers », témoigne M. Carey. Pour y parvenir, il compte sur Ross Brawn, le nouveau directeur exécutif de la F1 nommé lundi 23 janvier, « l’ingénieur-star », ancien directeur d’écurie qui s’est illustré avec Ferrari au début des années 2000, avant de conquérir le titre mondial en 2009 avec des voitures à son nom. Ross Brawn « sait » ce que la F1 « peut et devrait devenir » sur un circuit. « Ce sera lui qui dirigera notre stratégie. » Jusqu’ici, « d’un point de vue sportif, la prise de décisions n’[était] pas aussi efficace que nécessaire », avait-il diagnostiqué, avant de se demander « si cette façon de prendre les décisions [était] liée aux relations entre les acteurs » de la F1.

Ecuries, droits télés : négocier

Les acteurs de la F1, ce sont avant tout les écuries. La répartition des revenus entre elles est aujourd’hui très inégale. Les écuries historiques, comme Ferrari, Mercedes, Red Bull et McLaren, se réservent la part du lion, les petites écuries se contentant des miettes. Selon Autosport, la FOM, promotrice de la F1, a redistribué, en 2016, 965 millions de dollars aux écuries, de 192 millions à Ferrari à 0 dollar pour Haas. D’âpres négociations sont à prévoir, et Liberty Media n’a sûrement pas l’intention d’attendre 2020 et l’arrivée à échéance des contrats pour cela.

A la frontière entre le sport et les acteurs, la retransmission des Grands Prix est l’autre dossier clé d’une plus grande popularité. Le choix passé de Bernie Ecclestone de favoriser les chaînes payantes au détriment des chaînes gratuites et grand public pénalise les amateurs de sport automobile, et les éloigne de la F1. En France, Canal + est ainsi diffuseur exclusif depuis 2013, et ce jusqu’à la fin de cette saison. Beaucoup d’autres nations en Europe ont suivi : au Royaume-Uni, au Portugal, en Espagne – même si le Grand Prix de Barcelone reste retransmis en clair par la chaîne nationale.

Médiatique, sportive, logistique, la Formule 1 et ses acteurs s’engagent dans une vaste et intéressante refonte. Sans celui qui, jusqu’à hier, les dominait tous. « Je m’attends à ce que ce soit difficile pour Bernie. Il a dirigé ce sport la majeure partie de sa vie », a glissé M. Carey.