A l’arrivée des huit officiers turcs au tribunal, à Athènes, le 26 janvier. | LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Il est tout juste 15 heures, jeudi 26 janvier, et les huit officiers turcs, six pilotes et deux techniciens – réfugiés en Grèce depuis leur fuite de Turquie en hélicoptère au matin du coup d’Etat manqué contre le régime de Recep Tayyip Erdogan, le 16 juillet 2016 –, sont soulagés d’apprendre que la Cour suprême grecque refuse leur extradition vers la Turquie. « Vous voilà en sécurité sur le sol européen », commente l’un de leurs deux avocats, le professeur en droit pénal international Christos Milonopoulos. « Une victoire pour la dignité de notre justice », ajoute-t-il.

Un peu plus tard, le ministère des affaires étrangères turc a promis de procéder à une « évaluation exhaustive » de l’impact de cette décision de justice sur ses relations « bilatérales » avec Athènes, ainsi qu’en matière de « coopération dans la lutte contre le terrorisme ». Et la justice turque a émis un mandat d’arrêt visant les huit hommes.

Dans sa requête d’extradition, la Turquie accusait formellement les huit hommes de trahison mais aussi de tentative d’assassinat sur la personne du président Recep Tayyip Erdogan et de vol en bande armée pour avoir pris des hélicoptères appartenant à l’armée lors de leur fuite. Le chef de l’Etat turc a voulu faire de cette affaire une démonstration de force. Dès juillet, il affirmait que le premier ministre grec, Alexis Tsipras, lui avait promis l’extradition des militaires.

Alexis Tsipras n’ayant pas pris la peine de démentir cette affirmation, qui constituerait une intrusion du pouvoir exécutif sur la justice, une mobilisation menée par des écrivains et des militants des droits humains en Grèce a fait monter ces derniers mois la polémique au sujet de l’indépendance de la justice grecque. Les juges allaient-ils résister aux pressions exercées sur eux par le gouvernement grec ? Ce dernier allait-il céder aux pressions exercées par M. Erdogan et ses ministres qui ont menacé de relancer le flux de réfugiés vers les côtes grecques, de contester le traité de Lausanne régissant le tracé des frontières entre les deux pays depuis 1921 ou encore de geler les négociations en cours sur la réunification de Chypre ? Pendant ce temps, l’Union européenne s’est abstenue d’intervenir dans ce débat.

« La justice grecque ne pouvait pas décider en conscience d’extrader les huit militaires turcs vers la Turquie, pays sous la menace du rétablissement de la peine de mort. Un pays où il existe également des preuves de traitements dégradants et inhumains contre les dissidents politiques. Un pays, enfin, où il n’y a pas à proprement parler de “procès équitable” », affirme Dimitris Christopoulos, président de la Fédération internationale des droits de l’homme.

Crainte de la répression

Les défenseurs des militaires craignaient qu’une forme de réalisme s’impose aux juges quand un tribunal d’Athènes avait avalisé l’extradition de trois des militaires, mais l’avait rejetée pour les cinq autres. Après six mois d’atermoiements, les officiers sont un peu sonnés. Leurs femmes, enfants, frères et sœurs et parents sont restés au pays et doivent vivre depuis six mois avec le poids d’une désertion soudaine et non planifiée. Ils craignent la répression. Leurs proches, affirment-ils, ont presque tous été licenciés de leurs emplois ou mis en disponibilité de leurs postes dans l’administration publique. Leurs enfants sont parfois harcelés à l’école, car il est difficile d’être le fils d’« un traître à la patrie ».

Les huit militaires turcs ont démenti à plusieurs reprises toute implication dans la tentative de coup d’Etat et affirmé qu’ils avaient décidé de fuir par peur des représailles contre des militaires lors de la reprise en main de la situation par le gouvernement turc. Après six mois de détention dans un commissariat de la banlieue d’Athènes, c’est libres qu’ils vont désormais attendre la décision de l’administration grecque de leur accorder ou non l’asile politique. « Nous avons perdu nos familles, nos carrières et notre patrie en un instant cette nuit du 15 au 16 juillet. Nous devons désormais réfléchir à comment reconstruire notre existence ici, en Grèce », expliquent-ils.