Décret anti-immigration : les défenseurs des droits civiques remportent leur première bataille
Décret anti-immigration : les défenseurs des droits civiques remportent leur première bataille
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
Une des dispositions du texte interdisant l’entrée de ressortissants de sept pays aux Etats-Unis a été suspendue par la justice, après avoir suscité des manifestations dans les aéroports.
Lors de la manifestation contre le décret anti-immigration de Donald Trump à l’aéroport JFK de New York, le 28 janvier. | STEPHANIE KEITH / AFP
Vingt-quatre heures après avoir signé son décret sur les étrangers, Donald Trump a été confronté aux deux contre-pouvoirs qui risquent de mettre sa présidence à l’épreuve : la justice et la rue.
Saisie par les associations de défense des droits civiques, une juge fédérale a suspendu, samedi 28 janvier, une partie de l’application du texte « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis » qui interdit aux ressortissants de sept pays musulmans d’entrer sur le territoire américain.
Dans la soirée, Ann Donnelly a décidé d’un sursis d’urgence qui interdit momentanément l’expulsion des personnes arrivées dans des aéroports américains avec un visa valide et les autorise à entrer dans le pays.
Mobilisations dans les aéroports
Des rassemblements spontanés de plusieurs milliers de personnes s’étaient déclarés dans une demi-douzaine d’aéroports du pays pour obtenir la libération des passagers d’origine étrangère détenus par les services de l’immigration en vertu du décret.
Avant même la publication de celui-ci, l’ACLU, l’association de défense des libertés civiles, avait donné au président « rendez-vous au tribunal ». Dès samedi matin, elle a saisi la juge fédérale Ann Donnelly, au nom de deux Irakiens retenus à l’aéroport John F. Kennedy à New York, alors qu’ils avaient des visas d’entrée aux Etats-Unis.
Toute la journée, des centaines de manifestants ont envahi les abords du Terminal 4, aux cris de « Let them in ! » : « Laissez-les entrer ! » D’autres se sont massés devant le tribunal de Brooklyn, pour attendre la décision de la juge.
La même situation s’est déroulée à l’aéroport O’Hare de Chicago, ou encore à celui de Dallas. A San Francisco, des centaines de personnes ont envahi l’aérogare internationale, exigeant la révocation du « muslim ban ». Des avocats bénévoles se sont rendus sur les lieux pour aider les familles des passagers détenus, et essayer d’obtenir des informations, à l’appel du National immigration law center.
De 100 à 200 personnes concernées
Vers 21 heures, la magistrate new-yorkaise a donc prononcé une suspension partielle, estimant que l’application du décret aux deux plaignants leur causerait un « tort irréparable » en les forçant à retourner dans leur pays. Il s’agit d’une mesure temporaire, dans l’attente que la plainte de l’ACLU pour non-constitutionnalité du décret soit jugée sur le fond, mais elle est valide sur le plan national.
Selon l’association, de 100 à 200 personnes – dont une douzaine à New York – étaient samedi retenues dans les aéroports en vertu du nouveau décret, qui vise aussi bien les réfugiés que les détenteurs de cartes vertes : scientifique iranien se rendant à Boston, famille syrienne ayant finalement été acceptée dans l’Ohio, étudiante en anthropologie à Stanford, d’origine soudanaise… Tous pris de court par la soudaineté des mesures prises par la police de l’immigration.
L’ACLU a prévenu que l’essentiel restait à faire. « La décision préserve le statu quo », a expliqué Lee Gelernt, le responsable des droits des migrants au sein de l’organisation. Mais son directeur, Anthony Romero s’est réjoui : « Dès sa première semaine, Donald Trump a essuyé une première défaite devant la justice. » A Brooklyn, les militants ont exulté : « On a gagné ! »
Statue de la Liberté en larmes et incrédulité
Intervenant à l’issue d’une semaine éprouvante, qui a vu des pans entiers du programme de campagne de Donald Trump être mis en route à vitesse accélérée, le décret sur les étrangers a provoqué un émoi considérable dans le pays.
Les internautes ont multiplié les images d’une Statue de la liberté en larmes et les témoignages d’incrédulité face à une mesure qui interdit aux titulaires d’une double nationalité de rentrer chez eux, s’ils sont nés dans l’un des sept pays de la liste.
La mesure est temporaire – 90 jours –, mais même Dick Cheney, le défenseur des « interrogatoires musclés » de la CIA sous George W. Bush, l’a jugée profondément « non américaine ».