« Le programme économique de Donald Trump est un retour à un mercantilisme primitif »
« Le programme économique de Donald Trump est un retour à un mercantilisme primitif »
Par Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac gestion
Une recrudescence des anticipations d’inflation pourrait faire chuter les marchés obligataires et, par contagion, les actions, s’inquiète Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac gestion.
Donald Trump, élu président des Etats-Unis le 8 novembre. | BRENDAN SMIALOWSKI / AFP
Le grand mérite de la rhétorique trumpienne pour les marchés d’actions est qu’il représente l’accession au pouvoir du capitalisme privé, avide de moins d’impôts, moins de réglementations, plus d’investissements. L’effet de cet encouragement à l’instinct des agents économiques américains ne doit pas être sous-estimé.
Un indicateur est à ce titre éloquent : depuis le 9 novembre, l’indice d’optimisme des petites entreprises s’est littéralement envolé, à son plus haut niveau depuis 2004. Ce décollage a de plus été accompagné d’une très forte remontée aussi de l’indice de confiance des consommateurs.
Par conséquent, il est plausible que « l’effet Trump » parvienne à entraîner avec lui la poursuite de la reprise économique américaine entamée il y a un an, voire l’accélère. C’est un soulagement de taille pour les marchés d’actions qui commençaient à suspecter que l’appétit général de consommation commençât bientôt à s’émousser et que les marges des entreprises faiblissent.
A court terme, c’est ce qu’expriment les marchés, avec leur euphorie coutumière, en propulsant les valeurs des secteurs les plus cycliques vers des niveaux qu’elles n’avaient pas connus depuis 2014.
Cet enthousiasme fait peu de cas pour l’instant de la nature du programme économique de Donald Trump. Or il faudra qu’il s’en soucie un jour car le « Trumponomics » n’est rien d’autre en vérité qu’un retour affirmé à un mercantilisme primitif, lourd de conséquences après des décennies de libéralisme économique. Nous autres Européens avons l’expérience du mercantilisme, qui prévalait au XVIIe et au XVIIIe siècle dans les monarchies absolues française, anglaise ou néerlandaise.
Il s’agissait pour l’essentiel d’Etats forts qui s’employaient à enrichir leurs nations respectives en promouvant au maximum leur activité économique à l’intérieur de leurs frontières. Autrement dit, ces Etats visaient la constitution d’excédents commerciaux en protégeant leur industrie derrière des barrières douanières, et en utilisant les rapports de forces politiques (à l’époque, les rapports aux colonies) pour soutenir leurs exportations. C’est exactement le programme du nouvel homme fort de Washington, qu’on aurait grand tort de croire incohérent ou imprévisible sur le plan économique.
Aujourd’hui, le programme mis en œuvre aux Etats-Unis est un retour au credo mercantiliste, visant à explicitement réduire son déficit commercial (« America first ») en exerçant brutalement son rapport de force à l’égard de ses principaux partenaires commerciaux excédentaires : la Chine (premier « coupable » du déficit), le Mexique (seulement troisième coupable, mais affublé d’un rapport de force très défavorable), puis l’Union européenne (second coupable, et dont on comprend que Donald Trump souhaite l’éclatement pour améliorer son rapport de force).
Sur un autre plan, alors que globalisation, innovation, libéralisme ont été déflationnistes, il est patent que barrières douanières, protection plutôt que concurrence, industrie traditionnelle plutôt que innovation seront inflationnistes. On notera qu’à court terme ces effets du protectionnisme s’ajouteront à ceux du simple cycle économique, et pourraient ainsi provoquer une forte recrudescence des anticipations d’inflation.
L’un des premiers risques pour 2017 est par conséquent que les marchés obligataires s’ajustent à ces nouvelles anticipations. Pourrait survenir ensuite pour les marchés actions un réveil douloureux aux conséquences fâcheuses pour les taux et la croissance globale du mercantilisme. Il y a deux siècles, ce dernier avait pris fin pour deux raisons.
D’une part parce que les rapports de dominations économiques avaient créé suffisamment de ressentiments pour faire dégénérer les guerres commerciales en guerres tout court. Et d’autre part parce qu’une nouvelle génération d’économistes, David Ricardo en tête, avaient fait remarquer que le commerce mondial n’est pas un jeu à somme nulle : il peut sous certaines conditions être gagnant pour tout le monde, il est donc dans l’intérêt général de le libérer au maximum de ses entraves. Souhaitons que les conseillers de Donald Trump l’initient à l’histoire européenne.