Des camions de l’entreprise Fructofresh à Czarnowice (Pologne), le 12 janvier. | Jan Kowalski pour "Le Monde"

La justice française s’interroge à son tour sur le contenu des produits Fructofresh. Vendredi 27 janvier, Le Monde levait le voile sur cette entreprise polonaise soupçonnée d’ajouter un additif alimentaire interdit à ses salades de fruits frais et de maintenir dans des conditions proches du travail forcé la main-d’œuvre nord-coréenne à laquelle elle a recours.

Mercredi 1er février, le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil (Val-de-Marne) a interdit à Pomona, le distributeur français de Fructofresh, de commercialiser en France les salades de fruits de l’industriel polonais. L’ordonnance est assortie d’une astreinte de 1 000 euros par jour en cas de non-respect de l’injonction du tribunal.

Le premier distributeur français de produits alimentaires aux professionnels – fournisseur, entre autres, du géant de la restauration collective Sodexo – pourrait faire appel de cette mesure d’interdiction prise à titre conservatoire (dans l’attente d’un jugement sur le fond), motivée par le risque de santé publique que font peser ces produits litigieux présents sur le marché. « Le tribunal a appliqué le principe de précaution puisque ce dossier expose des doutes sérieux sur des denrées destinées à la consommation humaine », se félicite Christophe Noël, l’avocat de Delifruits, l’entreprise française à l’origine de l’action judiciaire intentée contre Fructofresh.

Analyses toxicologiques

Le français Delifruits suspecte l’usine de Czarnowice, dans l’extrême ouest de la Pologne, d’incorporer à ses salades du dicarbonate de diméthyle (E242), connu sous l’appellation commerciale Velcorin. Cet additif est non seulement interdit au sein de l’Union européenne pour ce genre de préparation mais, qui plus est, est nocif puisqu’en se dégradant au contact de l’eau, il forme du méthanol toxique.

Intrigué par les performances de Fructofresh, capable de vendre une salade de fruits frais d’une date limite de consommation de quatorze jours « sans conservateurs », alors qu’aucun produit d’une marque concurrente ne tient plus de neuf jours, Delifruits a fait procéder de son propre chef, fin 2016, à des analyses toxicologiques. Elles ont révélé une quantité de méthanol anormalement élevée.

Ces premiers indices ont convaincu la justice d’ouvrir une enquête. Dans un courrier daté du 21 décembre 2016, auquel Le Monde a eu accès, le tribunal de commerce de Créteil demande la saisie de plusieurs seaux de salades de fruits Fructofresh dans des établissements de Pomona et « un rapport circonstancié concernant les analyses pratiquées et les résultats obtenus ».

Le rapport d’expertise judiciaire, rédigé le 24 janvier, confirme les soupçons d’utilisation frauduleuse d’un additif alimentaire interdit. Les six échantillons prélevés contiennent du méthanol en quantité significative, non autorisé comme additif « du fait de sa toxicité pour le consommateur », avance l’expert en agroalimentaire et en chimie.

« Il est peu probable que le méthanol présent dans ces salades de fruits soit naturel, c’est-à-dire issu de la fermentation des fruits. En effet, les salades de fruits sont fraîches et conservées à froid ce qui ralentit tout processus de fermentation », poursuit l’expert, avant de conclure : « La présence de méthanol peut s’expliquer par la dégradation d’un additif qui aurait été ajouté : le dicarbonate de diméthyle. »

« Le méthanol provient-il du Velcorin ? Est-il issu du fruit lui-même ? Ce débat n’est pas tranché », estime Jean-Christophe André, l’avocat-conseil de Fructofresh, qui demande une expertise des produits Delifruits. Pomona explique de son côté avoir lancé ses propres analyses et assure n’avoir rien trouvé d’anormal dans les salades de fruits de son partenaire polonais.

En Pologne, une main-d’œuvre nord-coréenne si discrète