Alexandre de Moraes, en 2016. | Wilson Dias / CC

Les uns y voient le soupçon d’une odieuse manipulation pour sauver la peau des caciques de la politique brésilienne pris dans la tourmente des affaires de corruption. Les autres applaudissent la promotion de « l’un des constitutionnalistes les plus respectés de sa génération ».

Alexandre de Moraes, jusqu’ici ministre de la justice, affilié au Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, étiqueté centre gauche) a été désigné, lundi 6 février, par le président de la République, Michel Temer, comme juge à la Cour suprême. Le ministre remplace le juge Teori Zavascki, mort dans un accident d’avion près de la ville touristique de Paraty, le 19 janvier. Le magistrat défunt, réputé pour sa rigueur et son indépendance, était chargé du volet politique de l’opération « Lava Jato » (lavage express), cette enquête qui a mis au jour le plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays, décrit comme l’« affaire Petrobras ».

M. Moraes doit être confirmé dans ses fonctions après une audition au Sénat, prévue dans les semaines à venir. Une simple formalité de l’avis des observateurs. S’il était adoubé par les parlementaires, le quadragénaire n’héritera pas de tous les dossiers du juge Zavascki, mais il sera chargé de relire et corriger les conclusions du rapporteur de « Lava Jato ».

« Pauvre pays »

A ce titre, la nomination d’un homme de parti choque et surprend. « Pauvre pays », se désole notamment le politologue Carlos Melo sur son blog. Bien qu’il ne soit pas du même groupe politique que le chef d’Etat brésilien, membre du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), Alexandre de Moraes est considéré comme un proche du président. « L’un des plus à même d’être suspecté de protéger Michel Temer et ses soldats », écrit le commentateur politique Luis Nassif sur son blog.

Michel Temer est cité à diverses reprises par des prévenus impliqués dans le scandale. « Cette nomination met mal à l’aise », commente Marco Antonio Carvalho Texeira, professeur de sciences politiques à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo. « Alexandre de Moraes est affilié au PSDB à un moment où l’enquête Lava Jato est censée mettre en cause le parti », poursuit-il. La liesse qui a suivi la désignation de M. De Moraes dans les rangs du PSDB au Sénat ne fait que renforcer les doutes.

La manœuvre n’est pas une première. Elle n’est pas sans rappeler la nomination controversée, en 2009, du juge José Luis Toffoli, ancien du Parti des travailleurs (PT, gauche) par l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, à un moment où le parti était sous les feux de la justice. « Une erreur ne doit pas en justifier une autre », estime Carlos Melo.

Un ministre qui ne s’est pas illustré dans sa fonction

Le choix de Michel Temer est d’autant plus surprenant que le chef de l’Etat avait évoqué jusqu’ici un profil technique et irréprochable pour remplacer M. Zavascki. Or M. Moraes, qui fut l’avocat d’Eduardo Cunha (PMDB), ancien président de la chambre des députés aujourd’hui en détention préventive pour corruption et blanchiment d’argent, ne s’est pas illustré dans sa fonction de ministre de la justice. Au point d’être décrit en première page du magazine Epoca comme « une erreur de casting ».

Les médias brésiliens rappellent aussi que l’homme a dû se justifier après avoir professé un cours à la faculté de droit de l’Université de Sao Paulo en 2004 dans lequel il semblait justifier la torture. Information vivement démentie par l’entourage du ministre. Lundi, les étudiants de la faculté ont mis en ligne une pétition pour bloquer la nomination de M. Moraes qui avait récolté, mardi soir, un peu plus de 79 000 soutiens.