Les « erreurs stratégiques » du Muséum national d’histoire naturelle et du zoo de Vincennes
Les « erreurs stratégiques » du Muséum national d’histoire naturelle et du zoo de Vincennes
Par Audrey Garric
La Cour des comptes, dans son rapport, dénonce la « situation financière alarmante » de l’établissement public et « sa difficulté à se réformer en profondeur ».
D’un côté, il y a l’image publique, celle d’un rayonnement international porté par des collections tant uniques qu’exceptionnelles. De l’autre, la réalité comptable, qui révèle une « situation financière alarmante ». Dans son rapport annuel, rendu public mercredi 8 février, la Cour des comptes étrille le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), établissement public pluridisciplinaire, quatre fois centenaire et qui regroupe onze sites en France.
Les hauts fonctionnaires de la rue Cambon dénoncent des « choix stratégiques imprudents », en particulier en ce qui concerne la rénovation du zoo de Vincennes et du Musée de l’homme, mais aussi « la difficulté de l’établissement à se réformer en profondeur ». Ils appellent l’institution à « engager sans délais des mesures de redressement ».
Etablissement singulier
Derrière la dénomination de « muséum » se cache un établissement « multiforme » et « singulier », comme le qualifie la Cour des comptes. Les missions de ses 1 692 agents sont des plus diverses : activité muséale et accueil du public, évidemment, mais aussi enseignement au niveau master et doctorat, recherche – avec 650 chercheurs et enseignants-chercheurs –, gestion de collections patrimoniales et documentaires ou encore service d’expertise auprès des pouvoirs publics. A ce titre, le MNHN jouit d’une double tutelle du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ainsi que du ministère de l’environnement.
Le muséum dispose de collections « parmi les toutes premières au monde par leur qualité et leur quantité » rappelle la cour. Elles comprennent ainsi pas moins de 67 millions de biens (animaux naturalisés, minéraux, fossiles, végétaux), dont 43 millions d’insectes et d’araignées, issus de fouilles, de dons et de récoltes. L’établissement gère également trois parcs zoologiques, un aquarium, des jardins botaniques, des musées et un site de fouille préhistorique.
Une coexistence de missions qui « rend son pilotage financier particulièrement complexe », note la cour. D’autant plus que son budget, provenant pour moitié des ministères de tutelle, est aujourd’hui dans le rouge. Ses dépenses de fonctionnement sont ainsi passées de 63 à 89 millions d’euros entre 2013 et 2015, en raison de la réouverture au public du zoo de Vincennes en avril 2014 et du Musée de l’homme en octobre 2015. Or, la situation financière devrait encore se dégrader rapidement, avertissent les magistrats.
Chiffres de fréquentation surestimés
Car le zoo, depuis sa rénovation, grève les comptes du muséum. Pour en financer les travaux, ce dernier a choisi d’avoir recours à un partenariat public-privé, faute de fonds propres ou de subventions publiques. Sur le papier, l’idée est simple : couvrir les coûts d’investissement et de maintenance (remboursés sous la forme d’une redevance) et les frais de fonctionnement grâce aux recettes générées par les visiteurs, et ce pendant vingt-cinq ans. En réalité, le système ne fonctionne pas. Le coût du zoo de Vincennes pour le muséum est estimé à 20 millions d’euros par an entre 2017 et 2020, alors que ses recettes de fonctionnement, établies sur la base de la fréquentation de 2015, ne s’élèvent qu’à 12,6 millions. « Le zoo représente ainsi un déficit structurel majeur pour l’établissement, de l’ordre de 7,4 millions d’euros par an », calcule la cour, qui conclut que « ses réserves vont rapidement s’épuiser ».
En cause, une fréquentation qui n’est pas à la hauteur des attentes. Elle s’est élevée à 912 000 visiteurs en 2015, près de deux fois moins que les 1,7 million prévus. Parmi les raisons de ce décalage, les « sages » de la rue Cambon évoquent un « objectif d’entrée de jeu surestimé » pour « présenter un niveau de recettes suffisant », mais aussi des problèmes de visibilité des animaux dans les enclos lors de l’ouverture du zoo, des choix liés au bien-être animal qui ont conduit à ne pas présenter certaines espèces très attendues (ours, tigre, éléphant, etc.), ainsi que l’impact des attentats de 2015. Il en résulte un accueil du public mitigé à l’ouverture, « handicap difficile à surmonter par la suite », et le sentiment d’un établissement trop cher par rapport à son offre (22 euros pour le billet plein tarif).
Rénovation du patrimoine
D’autres « erreurs stratégiques » ont été commises par le muséum en ce qui concerne une deuxième rénovation, celle du Musée de l’homme, situé dans le Palais de Chaillot à Paris. Le chantier a été achevé en 2015, avec trois ans de retard, et un coût de 92 millions d’euros au lieu des 52 millions prévus. « Cette explosion du budget résulte principalement de l’impréparation de l’opération et de son lancement précipité », note le rapport.
Des déficits qui privent le MNHN de toute capacité d’autofinancement alors que l’état de son patrimoine, qui s’est « dégradé », « exige encore un niveau d’investissement important », juge la cour. Depuis 2002, l’établissement a déjà entrepris de vastes travaux, reconnaît-elle, qu’il s’agisse de la rénovation des grandes serres du Jardin des plantes, de la galerie de botanique ou de la galerie de minéralogie. Mais d’autres opérations sont « inévitables à court terme », comme pour la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée.
Malgré un mouvement de modernisation engagé depuis 2001, la Cour des comptes considère l’établissement comme « difficile à réformer ». Elle souligne une activité d’enseignement « marginale » par rapport à celle de recherche (237 enseignants-chercheurs pour 180 étudiants en master), une restructuration de la recherche « inachevée », des coûts de fonctionnement de certains sites trop élevés par rapport à leur fréquentation et une gestion trop « éclatée ». Enfin, ils considèrent que la gouvernance de l’établissement, présidé par Bruno David depuis 2015, s’avère « mal adaptée » aux missions multiples, risquant de « freiner le mouvement de réforme ».
« Réformer en profondeur l’établissement »
La cour appelle ainsi le muséum à « redresser sa situation financière » et à « réformer en profondeur l’établissement ». Parmi ses recommandations, elle préconise de développer encore l’attractivité du zoo de Vincennes pour augmenter sa fréquentation (par la professionnalisation des équipes, des campagnes de communication, une politique événementielle, des offres commerciales, etc.), d’envisager la cession de sites secondaires en régions, de poursuivre la rénovation du patrimoine et la modernisation de la gestion.
Les « sages » prônent également une réorganisation de la tutelle ministérielle du MNHN en la faisant reposer sur les ministères de la recherche et de la culture et non plus de l’environnement, un choix qui leur paraît plus conforme à ses véritables missions. Enfin, le rapport propose de supprimer purement et simplement les corps spécifiques d’enseignants-chercheurs du muséum.
Dans une longue réponse adressée à l’institution financière, le président du MNHN avance que l’enseignement dispensé au muséum, « spécifique et original », apporte une « plus-value » aux étudiants, et qu’une nouvelle organisation de la recherche est entrée en vigueur le 1er janvier. Il assure par ailleurs que l’établissement a lancé à l’été 2016 une étude, confiée à un cabinet de conseil en stratégie, sur l’attractivité du zoo de Vincennes, tout en reconnaissant que « le caractère irréaliste des prévisions de fréquentation initiales rend hypothétique un retour à l’équilibre du site, même avec des investissements complémentaires ». De leur côté, les ministères de l’enseignement supérieur, de l’environnement et de la culture, dans leurs lettres à la cour, n’estiment pas souhaitable ou nécessaire une réorganisation de la tutelle.