A Lille, des militants dénoncent le « délit de solidarité » au procès d’un élu
A Lille, des militants dénoncent le « délit de solidarité » au procès d’un élu
Par Florian Reynaud (Lille, Envoyé spécial)
Un élu des Hauts-de-France était jugé mercredi pour avoir percuté avec son vélo un agent en marge d’une opération policière dans un campement de Roms.
L’affaire a mobilisé et Jean-Luc Munro et son vélo sont aujourd’hui un symbole, pour de nombreuses associations, de l’intimidation sociale pratiquée par les forces de l’ordre, en particulier sur les militants qui viennent en aide aux migrants où aux populations en difficulté en général. | FRANCOIS LO PRESTI / AFP
Son avocat le décrit comme un « personnage de bande dessinée en forme de fil de fer ». Jean-Luc Munro était jugé, mercredi 8 février, devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Lille, pour « violence sur agent dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination ». La salle d’audience était remplie de soutiens : militants ou amis, ou les deux. Beaucoup ont été refoulés faute de place.
Il est reproché à ce conseiller municipal écologiste de Loos (une commune limitrophe) d’avoir foncé en vélo – l’arme par destination – sur les forces de l’ordre à un barrage, alors qu’il se dirigeait vers un campement de Roms dans lequel une opération policière de « resserrement » (selon une note citée à l’audience) avait lieu. Un des policiers a été blessé et subi quelques jours d’interruption de travail. Il s’est constitué partie civile dans cette affaire.
L’élu, lui, appartient à un « comité citoyen » créé quatre ans plus tôt à Loos afin d’aider et d’encadrer des Roms dont le campement avait été déménagé. Ce dernier a désormais été démantelé.
Rassemblement de soutien
L’affaire a mobilisé. Pour de nombreuses associations, Jean-Luc Munro et son vélo sont aujourd’hui un symbole de l’intimidation sociale pratiquée par les forces de l’ordre, en particulier sur les militants qui viennent en aide aux migrants où aux populations en difficulté en général.
Le procès lillois est d’autant plus emblématique que le tribunal de Nice doit rendre vendredi son jugement concernant Cédric Herrou, poursuivi pour ce que certains appellent le « délit de solidarité ». L’article L 622-1 du code pénal sanctionne « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ». Le texte a cependant été amendé, notamment en 2012, pour y introduire des exceptions concernant certains bénévoles. Mais, les associations dénoncent des poursuites pour violences qui servent d’écran de fumée pour intimider ces derniers ainsi que les militants.
C’est pourquoi avant l’audience, sur la Grand'Place de Lille, une centaine de personnes étaient rassemblées dans le froid pour défendre l’élu d’une soixantaine d’années. Sur un tract distribué, un comité de soutien et le regroupement d’associations Délinquants Solidaires dénonce une « accusation absurde », et un procès qui attaque « l’engagement des bénévoles au côté des plus démunis. » Julien Dubois, adjoint Europe écologie-Les Verts (EELV) à la mairie de la ville, est venu épauler « un pacifiste convaincu. » « En France, des mouvements de soutien aux migrants ont tendance à être criminalisés », dénonce-t-il. Egalement présente, Laetitia F. affirme avoir été récemment jugée pour des faits similaires lors d’une manifestation à Calais, puis relaxée en janvier.
« On voit partout des gardes à vue et interpellations de militants »
A l’audience, le procureur n’a pas voulu faire de ce procès une tribune politique, y voyant une stratégie de défense qui détourne habilement les discussions des faits reprochés.
« Je suis le bras armé de la répression sociale ? J’ai peur d’être décevant dans ce rôle car on m’a souvent traité de juge rouge. (…) Pour moi c’est le bête dossier de quelqu’un qui force le passage. »
Pour Me Romi, l’avocat de Jean-Luc Munro, le caractère politique de ce procès, même s’il n’est pas dans le strict cadre juridique du délit de solidarité, est indéniable. « Ce n’est pas ma faute si on voit partout se réaliser des gardes à vue et interpellations de militants », plaide-t-il. Et l’audience a permis aux témoins d’attirer l’attention sur les conditions de vie des Roms de la région, en dénonçant leur traitement par les forces de l’ordre.
Mais le jugement sera rendu sur les faits, qui ont été discutés en détail par l’avocat du prévenu, et l’audience a comparé les récits des différentes parties : M. Munro a-t-il foncé sur les policiers avec sa bicyclette ? Lui a-t-on demandé de s’arrêter ? A quelle vitesse roulait-il ? Un policier l’a-t-il poussé ? « J’ai vu deux bras attraper le vélo, un sur le guidon, un sur le porte-bagages », rapporte un témoin oculaire. « Deux bras qui appartiennent au même policier ? », interroge le procureur. Le conseil de l’élu a à nouveau défendu le caractère « pacifiste » de son client, malgré « son caractère, qui est peut-être des fois un caractère de chien. »
L’avocat des parties civiles a demandé 1 000 euros de dommages et intérêts. Le procureur à requis une amende de 750 euros. Me Romi souhaite la relaxe. Le jugement est mis en délibéré au mois prochain, mais dès jeudi matin, Jean-Luc Munro sera à Paris à l’occasion d’un rassemblement organisé par Délinquants Solidaires, sur le thème du « délit de solidarité ».