« A 16 ans, j’ai dû devenir un homme, moi qui ne me souciais que de ma vie d’enfant »
« A 16 ans, j’ai dû devenir un homme, moi qui ne me souciais que de ma vie d’enfant »
Ibrahima et Shammas sont tous deux arrivés en France au péril de leur vie, alors qu’ils n’étaient qu’adolescents. Shammas a fui le Pakistan : Ibrahima, lui, ne pensait qu’à atudier. Retour sur un parcours semé d’embûches.
Shammas a quitté le Pakistan à l’âge de 15 ans, en 2008. Son périple vers l’Europe s’est achevé à Vendôme (Loir-et-Cher) en 2013.
- « Fuir l’insécurité »
C’est à Vendôme (Loir-et-Cher) que le voyage vers l’Europe de Shammas, adolescent de 15 ans originaire du Pakistan, trouve son épilogue en avril 2013. Un périple démarré à la mort de son père, tué par son oncle en 2008. Ce fils de cultivateur et héritier des terres familiales doit alors fuir son village et quitter ses proches. Avec l’aide d’un passeur, ce cadet d’une fratrie de sept enfants commence par traverser la frontière qui le sépare de l’Afghanistan pour trouver refuge dans une famille d’accueil.
« Mes proches n’avaient pas les moyens de m’envoyer en Europe, ni même les attaches susceptibles de m’accueillir. »
Bientôt, les mauvaises conditions sécuritaires dans son pays d’adoption obligent Shammas à un nouvel exil, bien plus lointain et périlleux. Accompagné d’autres candidats au départ et de son hôte afghan qui le suit, il entame un long périple de plusieurs milliers de kilomètres à travers les campagnes, montagnes et plaines de ce pays qu’il ne connaît pas. A pied souvent, en voiture ou camion quelquefois, jusqu’à atteindre la Turquie.
« Nous marchions sur des chemins isolés afin d’être discrets et dormions dans des champs malgré la faim et le froid. On se nourrissait de petits biscuits, souvent très mauvais, donnés par les passeurs, c’était vraiment très dur. »
Trois mois en Italie
Entré clandestinement en Grèce, il y reste un mois à travailler au noir pour payer son voyage jusqu’en Italie, en traversant l’Europe orientale et l’Autriche. « J’ai compris que j’étais arrivé en Europe, car les gens ne me ressemblaient pas et n’étaient pas habillés comme moi. J’ai aussi été confronté pour la première fois au racisme qui se lisait dans le regard des gens », se souvient-il. Après trois mois passés en Italie et sur les conseils d’un travailleur social, il gagne la France, qui semble plus favorable à le prendre en charge.
Recueilli à Vendôme par France terre d’asile alors qu’il erre dans les rues, l’adolescent entreprend rapidement les démarches pour obtenir un titre de séjour et apprend le français. Scolarisé, il valide un certificat de formation générale ainsi qu’un CAP tout en travaillant dans la restauration.
Shammas vit désormais dans un foyer pour jeunes travailleurs de Blois et envisage de créer une entreprise de vente de pierres et bijoux pakistanais. « L’émeraude est une magnifique pierre, extraite des entrailles des terres de mon pays, que j’aimerais faire découvrir ici. » Sans oublier sa volonté d’œuvrer pour « donner une image de mes compatriotes autre que celle biaisée qu’ont les Français qui ne nous voient que comme des terroristes rétrogrades ou des vendeurs de roses. »
- « Mon objectif était d’étudier »
« J’ai dû me débrouiller seul et devenir un homme à 16 ans, moi qui ne me souciais que de vivre ma vie d’enfant en Afrique », raconte Ibrahima. Rien n’a été simple dans l’odyssée de ce jeune Guinéen, aujourd’hui étudiant à Sciences Po Rennes et arrivé à Nantes dans la rigueur du mois de décembre 2012. Le froid et la peur seront d’ailleurs ses premières découvertes avant d’être confronté à l’abandon et la solitude. « J’ai été laissé à mon sort dès mon arrivée en France par le passeur qui m’accompagnait. »
Son errance débute à la mort de son père, ingénieur des mines formé en France, en 2006. « Nous sommes partis vivre à Fria [à 160 kilomètres au nord de Conakry, la capitale], chez mon oncle avec ma mère. A la mort de cette dernière, en 2009, mes problèmes ont commencé. » Alors que la Guinée est en pleine crise politique, Ibrahima, fils unique, se retrouve face à l’angoissante solitude de l’absence d’une mère.
« Originaire du Sénégal, ma mère n’avait jamais été réellement acceptée par ma famille paternelle. » Ibrahima subit violences et brimades. « Mon oncle m’a imposé d’arrêter l’école afin de me former à un métier, mais moi, je voulais étudier. » Pour échapper à son sort, Ibrahima prend contact avec un ancien ami de son père, fonctionnaire au ministère des finances, qui lui conseille de quitter le pays. Après avoir habilement convaincu le jeune homme de lui confier la gestion du petit héritage laissé par ses parents, le fonctionnaire organise son départ vers la France. Ibrahima comprendra, mais un peu tard, que c’était sans doute dans l’intention de le voler.
Bataille administrative
Abandonné dès son arrivée à Nantes et totalement désemparé, le jeune Guinéen est rapidement orienté vers les services de protection de l’enfance. S’engage alors une longue bataille administrative et judiciaire visant à faire reconnaître sa minorité grâce à des tests osseux.
« J’avais peur de me faire expulser faute de preuve de ma minorité. De jugements en appels rejetés, j’ai pensé tout abandonner car la situation était très dure à vivre. »
Durant de longs mois, l’adolescent passe ses nuits au 115, accompagné par la Cimade, association de solidarité avec les migrants et les réfugiés, où il fait la rencontre de Rémy, ancien fonctionnaire à la retraite devenu bénévole. « Il m’a accueilli chez lui comme un fils et m’a permis de retrouver une vie normale et d’aller l’école. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui. » Trois ans après son arrivée et grâce à de bons résultats scolaires, Ibrahima obtient un titre de séjour. L’accompagnement de la Cimade ainsi que la mobilisation de son école ont favorisé sa régularisation. Ce qui ne l’empêche pas de se sentir toujours sur la sellette. « Ma situation m’oblige à être brillant, à toujours donner le meilleur de moi-même pour être accepté, c’est usant et très stressant. »
Mohamed Mahieddine, Reporter citoyen
Paroles de sans-voix, un projet original
Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).
Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.