Olivier Faye, journaliste chargé du suivi de l’extrême droite au Monde, a répondu aux questions des internautes après le premier grand oral de Marine Le Pen sur France 2. La candidate du Front national était l’invitée de « L’Emission politique », jeudi 9 février.

Mathilde : Comment expliquez-vous un tel record d’audience ?

Olivier Faye : Marine Le Pen a en effet battu le record d’audience de « L’Emission politique » depuis le début de la saison, avec 3,5 millions de téléspectateurs. La présidente du Front national réalise traditionnellement de bons scores à la télévision. On l’avait vu notamment avec « Une ambition intime » sur M6, à l’automne 2016 : le passage de Marine Le Pen aux alentours de 23 heures avait attiré 3,7 millions de personnes en moyenne, soit plus que Nicolas Sarkozy, qui passait au début de l’émission, vers 21 heures, et n’avait été suivi « que » par 3,1 millions de téléspectateurs.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène : Marine Le Pen dispose d’une base très mobilisée et motivée ; son parler « cash » rompt avec la monotonie qui peut parfois s’installer dans ce genre d’émissions ; et, comme son père Jean-Marie Le Pen, elle affectionne tout particulièrement l’outil télévisuel, qui a lui permis de « crever » l’écran.

Mathilde : Si Marine Le Pen ne remporte pas le second tour – ce qui est heureusement fort probable –, pensez-vous que cela portera un coup fatal à sa carrière politique comme ce fut le cas pour son père ?

La présence de Marine Le Pen au second tour du scrutin est en effet assez probable, puisque les sondages la donnent qualifiée pour cette échéance depuis près de quatre ans, et que son électorat apparaît comme plus mobilisé que celui de ses adversaires. Ne pas se qualifier serait un échec terrible, et il est certain que des comptes seraient demandés au sein du FN à la candidate et à son entourage.

En ce qui concerne une éventuelle défaite au second tour, tout dépendra du score obtenu. Son père avait enregistré 17,79 % des voix en 2002 contre Jacques Chirac, il est évident qu’elle vise un meilleur résultat. Obtenir moins de 30 % ou 35 % des voix serait aussi vécu par certains frontistes comme un échec, car la barre pour accéder au pouvoir semblerait une fois encore très haute.

Sa nièce Marion Maréchal-Le Pen a néanmoins déclaré qu’« il n’y a aucune raison que Marine Le Pen ne conserve pas » sa place de présidente en cas de défaite. Une échéance toute aussi cruciale se tient un peu plus d’un mois plus tard : les élections législatives. Si le FN n’obtient pas un groupe parlementaire (15 députés), il est certain que le congrès du parti, qui doit se tenir en théorie en fin d’année, risque d’être houleux pour la direction actuelle.

Quarint : L’entreprise de dédiabolisation que Mme Le Pen poursuit ne risque-t-elle pas de froisser la frange la plus extrême de ses partisans ?

Certains de ceux qui sont froissés par cette entreprise apparaissent comme groupusculaires ou trop radicaux, donc cela n’a pas d’incidence particulière pour Marine Le Pen. Je pense notamment à des formations comme le Parti nationaliste français (PNF, qui regroupe d’anciens membres de l’Œuvre française), le Parti de la France (dirigé par l’ancien secrétaire général du FN Carl Lang) ou aux identitaires de Terre et Peuple.

D’autres, comme Jean-Marie Le Pen, restent flous sur leurs intentions – soutenir ou non la candidate, présenter ou pas des candidats aux législatives face au FN –, mais les récents discours de Marine Le Pen, dans lesquels des thèmes comme la préférence nationale sont fortement mis en avant, ont tendance à rassurer cette frange la plus « extrême », comme vous dites.

De manière plus générale, il existe une sorte de consensus au sein de la famille large et disparate de l’extrême droite pour reconnaître que le FN est le moyen le plus « efficace » et rapide d’accéder un jour au pouvoir (je pense en particulier aux identitaires, qui se sont arrimés au FN plutôt que de l’affronter). Donc les dissensions éventuelles sur la ligne émergent moins à mesure que l’échéance de la présidentielle se rapproche.

Guillaume : Peut-on revenir sur l’affirmation de Marine Le Pen et la satisfaction des habitants des communes où sont élus des maires FN ? Elle a affirmé que 75 % des gens de ces villes étaient satisfaits.

Elle faisait référence à un sondage de l’IFOP, publié en mars 2015, qui assurait que 73 % des habitants des mairies FN étaient satisfaits de leur maire un an après les élections municipales de 2014. Mais, en règle générale, les représentants du FN préfèrent mettre en avant les résultats obtenus aux élections départementales et régionales de 2015 pour mesurer le degré supposé de satisfaction des habitants : dans les onze villes administrées par le FN, le score du parti a généralement augmenté lors de ces échéances. Ce qui s’explique en partie par l’habitude prise de voir aux affaires des élus frontistes, qui pour la plupart tentent de proposer une gestion sans vagues.

Ben : Pourquoi la révélation des affaires judiciaires concernant Marine Le Pen ne semble pas avoir le moindre impact sur les sondages ?

Il est toujours difficile de répondre à ce genre de questions. On peut supposer que l’affaire des assistants parlementaires au Parlement européen – soupçonnés d’être payés par l’UE mais de ne travailler que pour le FN en France – apparaît plus éloignée pour les Français que celle de l’emploi présumé fictif à l’Assemblée nationale de l’épouse d’un ancien premier ministre (François Fillon, pour ne pas le nommer).

Mais aussi que l’affaire Jeanne, qui a trait au financement présumé illicite des campagnes présidentielle et législatives en 2012, et vaut un renvoi devant le tribunal correctionnel au parti en tant que personne morale, est trop complexe pour avoir un impact. Enfin, le fait que le FN n’ait jamais exercé le pouvoir, et ne soit donc pas assimilé aux « turpitudes » qui l’accompagnent dans l’esprit de certains électeurs, joue aussi.

Arnaud : Quelle est la raison de son apparente grande surprise à voir Buisson comme invité mystère ? Quelle est leur relation actuellement ?

Selon ma consœur de L’Opinion Béatrice Houchard, la direction de France 2 avait dit à l’entourage de Marine Le Pen que l’invité surprise serait un « philosophe ». Sans doute s’attendait-elle plus à voir arriver Michel Onfray ou Jean-Claude Michéa que Patrick Buisson. Ce dernier connaît très bien la présidente du FN, en tant que personnalité politique, et plus encore son père Jean-Marie Le Pen, à titre personnel : il a été amené à le rencontrer dans les années 1980 en tant que rédacteur en chef du journal d’extrême droite Minute, et a écrit avec lui un livre à la gloire de l’ancien patron du FN, L’Album Le Pen.

Il aurait pu, en théorie, la déstabiliser, d’autant que son orientation très « identitaire-catholique » se heurte à celle plus « nationale-républicaine » de Mme Le Pen. La députée européenne assure avoir rencontré Patrick Buisson une seule fois, à l’occasion d’un déjeuner organisé avec son père, en 2007, pour savoir si le « Vieux » consentirait à soutenir Nicolas Sarkozy.

Arnaud : Les premiers pas du président américain Trump sont très controversés en Europe et aux Etats-Unis. Mme Le Pen en le prenant en exemple ne risque-t-elle pas de faire « peur » à une partie de ses électeurs ?

Elle fait le choix de ne retenir que ce qu’elle veut du personnage : une posture anti-establishment, une volonté affichée de mettre en place un protectionnisme économique, etc. Mais sans reprendre à son compte les outrances verbales, ou encore le décret interdisant d’entrée sur le territoire les ressortissants de certains pays musulmans.

Donald Trump a l’avantage de représenter un des deux grands partis établis, ce qui lui permet une plus grande « liberté » ; Marine Le Pen, elle, est à la tête d’un parti qui n’a jamais exercé le pouvoir, et continue de susciter une forte défiance.