Pourquoi les avocats demandent au parquet national financier de se dessaisir de l’affaire Fillon
Pourquoi les avocats demandent au parquet national financier de se dessaisir de l’affaire Fillon
Par Franck Johannès
La charge des avocats contre la justice s’explique par le contexte tendu et inédit de la situation à un peu plus de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle.
Les avocats de François et Penelope Fillon ont annoncé, devant la presse, avoir demandé, jeudi 9 février, au Parquet national financier (PNF) de se dessaisir de son enquête ouverte sur des soupçons d’emplois fictifs pour le travail d’assistante parlementaire de l’épouse de M. Fillon. La charge des avocats contre la justice s’explique par le contexte tendu et inédit de la situation à un peu plus d’un mois de la date limite du dépôt des parrainages et de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle. Les avocats du couple Fillon tentent ainsi d’influer sur le cours de l’enquête, sur laquelle ils n’ont à ce stade préliminaire aucun pouvoir.
- Les avocats de François Fillon peuvent-ils arrêter l’enquête ?
En aucun cas. Le PNF a confié l’enquête préliminaire aux policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, il est maître de l’opportunité des poursuites et décide seul s’il lui faut ou non se dessaisir. Il n’existe pas, à ce stade, de juridiction d’appel. Les avocats du couple Fillon pourront, le cas échéant, contester les poursuites devant un juge, si une information judiciaire est confiée à un magistrat instructeur, ou devant un tribunal si François Fillon et ses proches sont renvoyés en correctionnelle.
- Les contradictions de la défense de François Fillon
Si le PNF n’est pas compétent pour enquêter sur l’affaire, il est étrange que les Fillon aient demandé à être entendus « rapidement ». Ils l’ont d’ailleurs été en présence de leurs avocats, qui n’ont ni souligné l’incompétence de la juridiction, ni invoqué la prescription des faits. La défense de M. et Mme Fillon a attendu quinze jours après l’ouverture d’une enquête pour annoncer, devant la presse, jeudi 9 février, l’envoi d’une demande de dessaisissement du PNF.
- Le PNF est-il compétent pour les affaires de détournements de fonds publics ?
L’article 705 du code de procédure pénal définit exactement ses compétences, notamment pour les détournements de fonds publics. La circulaire du garde des sceaux du 31 janvier 2014 confirme sa spécialisation pour « les atteintes à la probité que sont la corruption dans le secteur public, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le pantouflage, le favoritisme, le détournement de fonds publics et les délits d’obtention illicite de suffrage en matière électorale ». Même si un tribunal requalifiait le détournement de fonds publics en abus de confiance, le PNF resterait compétent.
- Le détournement de fonds publics s’applique-t-il aux parlementaires ?
C’est le principal argument des avocats. L’article 432-15 du code pénal indique que « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public (…) de détourner ou soustraire (…) des fonds publics ou privés (…) ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. » Un député est-il chargé d’une mission de service public ? Les avocats du candidat n’ont pu produire, jusqu’à présent, une décision judiciaire qui prouve le contraire.
- Y a-t-il des précédents ?
Il y en a de nombreux. Le juge René Cros instruit depuis cinq ans une enquête sur les détournements de fonds publics des sénateurs du groupe Les Républicains, il a perquisitionné en mai 2016 les bureaux du Sénat. Le député de Polynésie française Jean-Paul Tuaiva a été condamné à deux ans de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité le 16 juin 2016 pour détournement de fonds publics – il avait ponctionné 13 à 15 millions d’euros dans la réserve parlementaire pour une association de complaisance. L’ex-sénateur Roland Povinelli, enfin, a été mis en examen, notamment pour détournement de fonds publics le 10 juin 2015 en raison de l’emploi fictif de sa belle-fille, comme l’a indiqué Mediapart. La cour d’appel d’Aix a annulé les mises en examen pour vice de forme, mais n’a en rien réformé la qualification.
- Y a-t-il une atteinte à la séparation des pouvoirs ?
L’argument est juridiquement faible. L’article 26 de la Constitution dispose qu’« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie » et que « la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session ». François Fillon ne peut pas donc être placé en garde à vue ou en détention. Rien n’empêche pour autant d’enquêter sur son cas, ni de l’entendre en audition libre.
- Le PNF « peut-il voler le grand rendez-vous électoral qui attend les Français » ?
Le calendrier judiciaire ne dépend en rien du calendrier électoral ; il existe en effet « un usage républicain » qui veut que les magistrats s’abstiennent de toute mise en cause d’un candidat à moins de trois mois des élections. Cet usage, défendu par Jean-Claude Marin, l’actuel procureur général près la Cour de cassation, ne repose sur aucun texte et son bien-fondé se discute : peut-on voter pour un candidat sans savoir s’il est sans taches ? C’est pour l’élu lui-même un boulet qu’il traînerait, s’il était élu à la présidence de la République, pendant cinq ans – l’immunité présidentielle lui assure certes une provisoire impunité, mais lui ôte aussi tout moyen d’être mis hors de cause.
- Comment s’explique la vigoureuse contre-attaque des avocats de François Fillon ?
Sans pouvoir agir sur la procédure en cours, les avocats agissent sur le terrain politique. « On n’a jamais vu une situation comme celle-ci où un candidat investi par 4,4 millions d’électeurs dans le cadre de la primaire se retrouve à ce point suspendu à la décision d’un juge », ont-ils déclaré lors de la conférence de presse. Tout en admettant qu’ils n’avaient « aucun pouvoir, aucun recours dans le cadre d’une enquête préliminaire ». « C’est un geste désespéré, un rideau de fumée », estime un magistrat, faute d’avoir les moyens d’agir sur l’enquête, sauf par une mise en scène médiatique.