« Il existe une sorte de malédiction des matières premières »
« Il existe une sorte de malédiction des matières premières »
Propos recueillis par Pierre Lepidi
Philippe Chalmin, professeur d’économie internationale, relativise l’impact de la hausse du prix des métaux sur les économies des pays producteurs.
Philippe Chalmin est professeur en économie internationale à l’université Paris-Dauphine. Directeur du rapport Cyclope, il est aussi spécialiste du marché des matières premières. Dans un entretien au Monde Afrique, il revient sur la récente hausse du prix des métaux et sur l’impact de cette croissance sur les économies des pays africains.
Comment expliquer l’actuelle hausse des prix des matières premières ?
Il y a effectivement un rebond d’un certain nombre de marchés, mais plusieurs d’entre eux n’enregistrent pas de hausse significative. Je trouve qu’il est donc hâtif de parler d’une reprise des prix des matières premières. Quand on regarde dans le détail, on voit que ce n’est pas universel. Certains prix ont flambé, c’est vrai, et notamment le caoutchouc. Le pétrole est également remonté. Il y a aussi de fortes tensions sur le marché du charbon, un petit peu sur le minerai de fer et d’autres métaux.
Mais, pour beaucoup de produits agricoles, ce n’est pas le cas. C’est même l’inverse pour ce produit très important pour l’Afrique qu’est le cacao. Il faut donc relativiser l’expression « reprise des prix des matières premières ». Son emploi est encore un peu hâtif car le rebond n’est pas généralisé.
Cette amorce peut-elle quand même avoir un impact sur les économies africaines ?
Si les matières premières sont importantes pour l’Afrique, l’Afrique n’est plus très importante pour les matières premières. Quelles sont aujourd’hui les matières premières qui comptent pour l’Afrique ? Il y a d’abord le pétrole. C’est vrai qu’entre 2016, où l’on était autour des 30 dollars le baril et le pessimisme de certains qui le voyaient « bientôt à 20 dollars », et aujourd’hui, où l’on flirte avec la barre des 55 dollars, la situation est meilleure. Mais ce n’est pas encore suffisant pour de nombreux pays africains, dont les équilibres budgétaires sont établis à des niveaux de prix du pétrole beaucoup plus élevés. Cela va donc mieux, mais ce n’est pas encore fabuleux.
Sur d’autres marchés qui sont un peu remontés et qui sont importants pour l’Afrique, on trouve les métaux et il est vrai que la remontée des prix du cuivre, par exemple, est assez favorable pour les deux grands producteurs que sont la République démocratique du Congo et la Zambie. Par ailleurs, on peut considérer que l’Afrique du sud doit profiter de la hausse du prix du charbon, bien qu’elle ne soit plus tellement exportatrice. Enfin, on peut considérer que l’Afrique du Sud et la Mauritanie peuvent se réjouir de la hausse du prix du minerai de fer.
A l’inverse, la baisse des prix du cacao fragilise la Côte d’Ivoire. Et, au niveau des produits agricoles, c’est probablement l’un des produits les plus importants. Bien souvent, les matières premières pèsent extrêmement lourd dans les balances commerciales des pays africains, même si la plupart du temps il ne s’agit que de producteurs extrêmement modestes.
La baisse des prix de certaines matières premières, entre 2014 et 2016, va t-elle laisser des traces ?
La baisse des prix du pétrole a eu des conséquences importantes pour un pays comme le Tchad, d’autant plus que c’est le pétrole qui finançait l’effort de guerre. Et si vous enlevez le pétrole, il n’y a plus d’Angola, ni de Guinée équatoriale. Ces dernières années, un afro-optimisme tout à fait sympathique régnait. On entendait dire : « Regardez, l’Afrique est en train de s’en sortir ! Voyez l’Angola, la spéculation immobilière à Luanda… »
Mais tout ceci n’était lié qu’à la rente pétrolière. Il s’est vérifié, en Angola comme ailleurs, que la rente pétrolière n’a pas été gérée. Le drame, et le Nigeria en est un parfait exemple, est qu’il existe une sorte de malédiction des matières premières en général et du pétrole en particulier.
Que faut-il en conclure ?
Cela prouve que vous ne pouvez pas baser le développement économique d’un pays sur la seule exploitation de ses matières premières. Mais la gestion d’une rente, pétrolière en l’occurrence, est extraordinairement difficile et demande de la part des pays concernés une capacité assez exceptionnelle. Parce que lorsque les prix sont bas, on prend en général de bonnes résolutions. Mais quand ils sont élevés, c’est la facilité qui séduit les hommes politiques. Le pouvoir corrupteur que peut avoir notamment le pétrole est assez extraordinaire. Ce n’est évidemment pas propre à l’Afrique, mais valable dans tous les pays.
Peut-on supposer que les gouvernements tiendront compte de ce qui s’est passé et que les croissances seront plus inclusives ?
Les promesses n’engagent que ceux qui les font et que ceux qui les croient. Malheureusement, je ne vois pas tellement de marge de manœuvre. Nous avons connu une période exceptionnelle, de 2006 à 2014, avec une très forte flambée des cours. Depuis 2014, les cours sont retombés et ce n’est pas la petite hausse limitée à certains produits à laquelle nous assistons depuis quelques mois qui va changer les choses.
Nous sommes toujours dans une période probablement relativement longue de cours déprimés. Cela va obliger un certain nombre de pays à modifier encore considérablement leur train de vie.