À Dresde, l’extrême droite ne veut pas laisser sa place à l’art
À Dresde, l’extrême droite ne veut pas laisser sa place à l’art
M le magazine du Monde
Le mouvement Pegida, qui lutte contre « l’islamisation de l’Allemagne », ne digère pas l’installation, dans « sa » ville et sur « son » lieu de ralliement, d’une œuvre rappelant une barricade dressée à Alep.
« Monument », la sculpture de Manaf Halbouni, sur la place du Nouveau-Marché de Dresde. | Sebastian Kahnert/ DPA/ MaxPPP.
Trois autobus dressés côte à côte à la verticale pour former une barricade. C’était à Alep, en 2015, et la photo avait fait le tour du monde. Deux ans plus tard, l’artiste germano-syrien Manaf Halbouni a reproduit la scène sous la forme d’une installation grandeur nature au cœur de Dresde (Saxe). Son idée était de sensibiliser le public aux horreurs de la guerre. Pour l’heure, il a surtout déclenché la fureur de l’extrême droite qui, depuis l’inauguration de l’œuvre, mardi 7 février, n’en finit pas de crier à la provocation.
La raison de cette colère ? Le lieu, d’abord. C’est en effet à Neumarkt, place du Nouveau-Marché, que Monument – c’est le nom du projet – de Manaf Halbouni a été installé. Or, cette place est l’un des points de ralliement de Pegida, ce mouvement créé à Dresde, fin 2014, pour lutter contre « l’islamisation » de l’Allemagne, et qui s’est rendu célèbre par ses manifestations souvent violentes organisées le lundi soir.
La photo de la barricade d’Alep, en 2015, sur le compte Twitter du photographe
Pour les militants de Pegida, la vision d’une réplique de la barricade d’Alep à l’endroit même où ils ont l’habitude de se donner rendez-vous est insupportable. Et ce d’autant plus qu’une photo est venue nourrir leur courroux. Prise en 2015 par un photo – reporter de l’agence Reuters, celle-ci montre les trois autobus de la ville syrienne surmontés d’un drapeau aux couleurs de l’organisation salafiste Ahrar Al-Cham. Il n’en fallait pas plus à Pegida pour accuser le maire de Dresde, le libéral-démocrate Dirk Hilbert, de faire « l’apologie d’une organisation terroriste islamiste ». Lors du dévoilement de l’œuvre, ce dernier a d’ailleurs été copieusement hué par plus de 200 manifestants venus le traiter de « Volksverräter » (« traître au peuple »), une expression très connotée en Allemagne depuis le nazisme.
Lundi 13 février, les contempteurs du projet sont revenus à la charge à l’occasion du 72e anniversaire des bombardements alliés sur Dresde, estimant que l’installation était une « injure » aux 25 000 morts de l’époque. Ils ont été tenus à l’écart par un important cordon policier.
Interrogé par le journal Süddeutsche Zeitung, Manaf Halbouni explique qu’il n’avait jamais vu la photo des autobus surmontés du drapeau d’Ahrar Al-Cham, et reconnaît qu’il n’a pas cherché à savoir qui avait monté la barricade d’Alep. Mais cela, au fond, lui importe peu. « Ce qui m’a motivé, dit-il, c’est ce qu’on a vu sur toutes les photos : l’énergie avec laquelle ces autobus ont été dressés, et la vie qui continuait devant, avec ses commerces et ses enfants en train de jouer. »
Né à Damas en 1984, installé depuis 2009 à Dresde, la ville de sa mère, le jeune homme n’imaginait pas se voir accusé de banaliser le martyre de la capitale de la Saxe en évoquant les souffrances d’Alep. « Ma famille dresdoise a presque tout perdu pendant la seconde guerre mondiale. L’endroit où mon grand-père vivait à l’époque est encore une étendue de verdure aujourd’hui, au milieu de la ville. » Comme beaucoup d’artistes et d’intellectuels de cette région de l’ex-Allemagne de l’Est, où les actes racistes et xénophobes se sont multipliés ces dernières années, Manaf Halbouni ne cache pas son inquiétude : « Jusqu’en 2014, tout était super ici. Avec Pegida, tout a changé. La vie est devenue plus dure, on a l’impression que les gens se dressent les uns contre les autres, que l’on ne s’écoute plus. Mais avec cette affaire, beaucoup de gens sympas m’ont écrit. Cela me donne un peu d’espoir. Je n’ai pas l’intention de renoncer. »