« Il me l’a enfoncée dans les fesses volontairement. » Dans son témoignage après son interpellation violente par quatre policiers à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) le 2 février, Théo L. a raconté son échange brutal avec les officiers de la brigade spécialisée de terrain (BST). « Théo, lui, il sait qu’il a été violé. Et il le ressent comme un viol, évidemment », a affirmé le 9 février sur BFMTV son avocat, maître Dupond-Moretti.

Le fonctionnaire suspecté d’avoir porté le coup de matraque responsable des blessures de Théo L. a été mis en examen des chefs de « viol par personne ayant autorité, et violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, avec arme et en réunion, suivies d’incapacité de travail supérieure à huit jours » – Théo L. s’est vu fixer 60 jours d’incapacité totale de travail et est sorti de l’hôpital le 16 février. Les trois autres policiers ont été mis en examen pour des chefs de violences volontaires.

La qualification des faits en viol n’avait en revanche pas été retenue dans la synthèse remise par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) au tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny, le 5 février. L’IGPN avait retenu le chef de violences volontaires en réunion, considérant qu’il n’y avait pas eu « d’intention de commettre un crime sexuel », comme l’a rapporté RTL. Un avis suivi par le TGI de Bobigny, mais requalifié en viol par le juge d’instruction saisi par le parquet – une saisie obligatoire en cas de crime, le choix de la qualification restant entre les mains du juge d’instruction.

Qu’est-ce qu’un « viol » selon le droit pénal ?

La qualification de « viol » ou de « violences volontaires » est au centre de la procédure judiciaire – jusqu’à la fin des investigations, le juge d’instruction est libre de changer la qualification. En France, l’article 222-23 du code pénal qualifie ainsi le viol :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

Le viol est donc, juridiquement, une agression sexuelle à part, caractérisée par une « pénétration sexuelle imposée ». Ce qui implique une violation du consentement de l’autre – le terme n’est pas présent dans les textes mais apparaît par ses contraires : « violence, contrainte, menace ou surprise » expriment que « le viol du corps est aussi, et peut-être d’abord, un viol de la personne, de sa liberté », analyse Laurence Leturmy, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’université de Poitiers.

Comme pour tout crime, l’intention de l’auteur est primordiale à la qualification de viol – l’IGPN écartait toute idée de « viol délibéré », un pléonasme puisqu’un viol ne peut, par définition, être involontaire.

Par ailleurs, le droit pénal est indifférent aux motivations au stade de la constitution de l’infraction : il n’est pas nécessaire qu’un mobile de recherche d’un plaisir sexuel ou autre soit constitué pour qualifier un viol.

En cas de condamnation, la peine encourue pour un viol (quinze ans de réclusion criminelle) est plus importante que pour des violences volontaires, considérées comme un délit. C’est ce qui donne toute son importance à la qualification de l’infraction – le statut de personne dépositaire de l’autorité publique du policier mis en cause constitue par ailleurs une circonstance aggravante.

L’importance de la connotation sexuelle

« Dans l’affaire de Théo L., pour qualifier l’acte de viol, c’est bien la connotation sexuelle qui pose question », selon l’universitaire. Le fait qu’une matraque puisse être utilisée dans un anus plutôt que dans un sexe exclut-il la qualification de viol ? « A priori, aucune forme d’acte de pénétration sexuelle n’est exclue du champ d’application du texte », démontre Laurence Leturmy. L’utilisation d’une matraque n’exclut donc pas automatiquement la suspicion de viol.

Mais la jurisprudence a montré par le passé des interprétations différentes dans la qualification de viol :

« Si les juges estiment que la connotation sexuelle est caractérisée, la qualification de viol s’impose ; dans le cas contraire, et au regard de la dernière jurisprudence, la qualification de viol est douteuse. »

En 1995, la Cour de cassation avait considéré comme viol le fait qu’une jeune femme ait sodomisé un homme avec un manche de pioche recouvert d’un préservatif, en insistant sur la présence du préservatif recouvrant le bâton « en ce qu’elle permet d’affirmer que l’acte présentait une connotation sexuelle indéniable », détaille Laurence Leturmy.

Mais deux ans plus tôt, en 1993, la qualification de viol n’a pas été retenue par la Cour de cassation quand la victime d’une autre affaire, un jeune garçon, s’était vue introduire un bâton dans son anus. Les auteurs des faits sont déclarés coupables de torture et d’actes de barbarie, mais « l’idée était qu’en lui-même, le bâton n’avait pas de connotation sexuelle et avait été introduit dans un organe qui n’est pas sexuel », explique la professeure de droit.

La décision appartient donc au juge d’instruction, consulté dans l’affaire d’Aulnay-sous-Bois par le parquet de Bobigny après l’ouverture d’une information judiciaire, le 6 février. En annonçant la suspension des policiers après leur mise en examen, le ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, a déclaré souhaiter « voir la justice établir très clairement et sans aucune ambiguïté les conditions dans lesquelles l’interpellation a eu lieu, en établissant ainsi les responsabilités de chacun ». Une démarche qui, au vu de la complexité de l’affaire, pourrait encore prendre plusieurs mois.