Jacques Toubon. | DIDIER ALLARD/INA 2015

Jacques Toubon, le défenseur des droits, affirme que « l’accès aux droits recule en France ». A l’occasion de la publication de son rapport annuel, jeudi 23 février, il a souligné que les « services d’accueil et de renseignement » des services publics « sont moins bons et renvoient de plus en plus vers des démarches en ligne. (...) Les services publics s’éloignent, ce qui ne peut pas avoir de conséquences politiques, indépendamment de la question de l’accès aux droits », a-t-il commenté, faisant allusion à la campagne électorale en cours.

Le défenseur des droits, né de la réunion en 2011 des attributions du médiateur de la République, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, du défenseur des enfants et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), a été saisi, en 2016, de 86 596 dossiers de réclamations. Les organismes sociaux sont concernés dans 40 % des cas.

Dans son rapport, M. Toubon dénonce par exemple « le nombre croissant de pièces justificatives requises pour bénéficier de prestations ou d’allocations ». Conséquence, la complexité des dispositifs conduit de plus en plus de personnes « à renoncer à y recourir ».

Le poids de « l’aquoibonisme »

Dans une vaste enquête menée auprès de 5 000 personnes, dont les détails seront publiés dans les semaines et mois à venir, ressort un important phénomène de « renoncement » à faire valoir ses droits, ce que M. Toubon appelle « l’aquoibonisme ». « Cette proportion de non-recours aux droits doit absolument régresser », dit celui qui a succédé, en 2014, à Dominique Baudis.

Alors qu’un tiers des personnes interrogées dans cette enquête expriment avoir éprouvé des difficultés à accomplir des démarches administratives en ligne ou même ne pas avoir d’accès Internet, « certaines plate-formes téléphoniques ne précisent pas la localisation ou les horaires d’ouverture de l’agence locale… puisque ces informations sont disponibles sur Internet », lit-on par exemple dans le rapport.

Les 450 délégués locaux du défenseur des droits sont « unanimes pour dénoncer l’inaccessibilité croissante des services », qui s’étend désormais au service public de la justice.

Le phénomène du « non-recours » ne se limite pas à la difficulté de faire valoir ses droits. Il concerne également le renoncement à faire reconnaître une situation d’atteinte aux droits. En matière de discrimination, 93 % des personnes qui se disent victimes dans l’accès à l’emploi n’ont pas fait la moindre démarche pour valoir leurs droits. Ce taux de non-recours est de 88 % lorsque la discrimination est vécue comme étant fondée sur l’origine.

Une forme de passivité qui concerne également les violences faites aux autres. Alors que 16 % de la population interrogée déclare avoir été témoin d’une atteinte aux droits de l’enfant ces cinq dernières années, une personne sur deux n’a pas engagé de démarche.

« Il n’y a plus, depuis plusieurs années, de vrais discours sur l’égalité »

Pour M. Toubon, sa mission est « de faire entrer les droits fondamentaux et les droits sociaux dans l’effectivité ». Pour cela, outre l’extension du réseau qui devrait compter à la fin de l’année 500 délégués, des actions formation sont engagées afin qu’ils puissent intervenir sur l’ensemble des missions du défenseur des droits.

Car le problème est profond. En matière de violences faites aux femmes, de harcèlement sexuel, de discrimination au travail en cas de maternité, etc., « on sait que c’est très important, mais les recours ou les plaintes sont très faibles alors que l’appareil légal est optimum ».

D’une manière plus générale, M. Toubon, 75 ans, s’inquiète d’un contexte qui n’est pas favorable à la protection des droits : « Il n’y a plus, depuis plusieurs années, de vrais discours sur l’égalité ou les discriminations », regrette-t-il. Il constate au contraire que se développent les « discours identitaires », ce qui est « incompatible » avec les principes d’égalité devant le droit.