Après avoir travaillé au ministère de l’économie, Alexandre Maymat a rejoint la Société générale, où il est aujourd’hui responsable de la région Afrique. Présente dans 18 pays, la première banque française du continent enregistre 7 % (1,5 milliard d’euros) de son chiffre d’affaires sur le sol africain et entend « accélérer l’innovation au sein de ses filiales subsahariennes ».

Quelle est aujourd’hui la stratégie de la Société générale en Afrique ?

Alexandre Maymat Le groupe est présent sur le continent depuis un siècle, une cinquantaine d’années en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Cameroun. Il s’est toujours développé de manière régulière. En quinze ans, nous avons ouvert des implantations dans huit pays, dont l’Algérie, le Ghana, le Mozambique ou le Togo. Ce qui a changé, c’est que notre dispositif africain est désormais rattaché au reste du groupe car, historiquement, le continent était géré selon sa propre logique.

En 2014, on a décidé de privilégier l’Afrique en octroyant 4 milliards d’euros de ressources supplémentaires à notre développement sur le continent. Cela passait par des travaux de mises à niveau de nos offres, d’investissement informatique, de renouvellement des cadres et des managers. Nous avons donc décidé de faire de l’Afrique l’un des poumons de notre croissance. Une part non négligeable de la rentabilité de nos clients – plus de 40 % pour certains internationaux – provient déjà de nos activités africaines.

Le taux de bancarisation des Africains reste très faible. Comment inverser la tendance ?

Le plus fort taux de bancarisation, 70 %, est celui de la Tunisie, pays le plus mature économiquement. En Afrique subsaharienne, il varie entre 5 % et 15 %. Diverses raisons peuvent expliquer cette faiblesse. La première est le poids du secteur informel dans l’économie, qui atteint 45 % en Afrique subsaharienne, et la difficulté de prêter de l’argent à des clients qui ne présentent pas de bilan comptable, ou qui ne veulent pas faire transiter certains flux par des établissements bancaires afin de ne pas devenir traçables.

La deuxième raison est que nous sommes sur des territoires qui ont connu des crises bancaires majeures, y compris dans les années 1990 avec une crise des francs CFA. Il y a donc une méfiance envers les institutions en général et les institutions bancaires en particulier. Le troisième phénomène est que les banques se sont développées en Afrique pendant longtemps sur un modèle européen. Celui-ci repose sur l’installation de grosses agences dans des zones suffisamment denses. Mais une agence en Afrique coûte aussi cher qu’une agence en France.

Certes, les coûts salariaux sont moindres mais il faut beaucoup plus de salariés pour effectuer des opérations sans valeur ajoutée, comme la consultation des comptes par les clients, le retrait de cash des salaires en début de mois… Par ailleurs, le coût des infrastructures est élevé : électricité, informatique, loyers. Enfin, il y a le coût du transport de cash. Au Maroc, les coûts de gestion du cash représentent 9 % des frais généraux, contre moins de 2 % en France.

La rentabilité du client n’est pas la même puisqu’il y a très peu de commissions sur épargne. Cette rentabilité repose donc essentiellement sur le crédit. Mais pour qu’une banque puisse accorder un prêt, il faut des revenus stables et traçables. Or la part des salariés au sein de la population active est faible. Au final, on ne peut pas, sur des modèles classiques, développer une présence de proximité au cœur des sociétés africaines.

Ces coûts importants peuvent-ils expliquer pourquoi les taux d’emprunt sont si élevés ?

Il y a les coûts, mais il y a aussi les risques. Quand vous prêtez de l’argent à un salarié en France et qu’il est licencié, il va percevoir pendant plusieurs mois une indemnité de chômage qui va l’aider à subvenir à ses besoins. Lorsqu’un salarié africain est licencié, il n’a plus rien du jour au lendemain et n’a donc plus la capacité de rembourser son prêt.

Souvent, il n’existe pas non plus de centrale de crédit permettant d’identifier les clients qui ont eu des incidents de paiement. Certains peuvent donc multiplier les emprunts sans traçage des mécomptes. Au niveau des PME, on s’aperçoit souvent que ce sont des entreprises qui ne sont pas capitalisées puisqu’une partie n’apparaît pas dans leur bilan. Les entreprises sont aussi souvent concentrées sur un seul client, un seul fournisseur et donc assez vulnérables. Certaines économies sont sectoriellement très concentrées, comme la Côte d’Ivoire avec le cacao.

Pour toutes ces raisons, prêter de l’argent est plus risqué en Afrique qu’ailleurs. On notera quand même que les taux d’emprunt ont beaucoup baissé ces dernières années et qu’il y a une dynamique de crédits très forte qui, à ce jour, n’a pas été altérée par la chute du prix des matières premières.

A quel taux peut-on emprunter aujourd’hui ?

Cela dépend évidemment des marchés et des pays. Le taux d’usure [taux maximum] est de l’ordre de 17 %, mais on prête évidemment à beaucoup moins, autour de 4 % à court terme pour une grande entreprise dans certains pays. Pour un ménage où il y a un fonctionnaire avec un revenu garanti et sur une durée de trois à cinq ans, le taux varie entre 7 % et 11 % en fonction des marchés.

Mais il faut aussi tenir compte de l’environnement. Pour un prêt immobilier, il faut un cadastre afin d’obtenir un titre foncier que l’on va pouvoir hypothéquer pour garantir le crédit. Et si le client ne rembourse pas, on doit pouvoir exercer cette garantie dans un système judiciaire efficace. Enfin, les banques africaines doivent être prêtes à surmonter les crises, parce que les économies sont beaucoup plus cycliques qu’ailleurs, et restent soumises à des crises de gouvernance ou géopolitiques.

Quel a été l’impact de nouvelles banques africaines comme Ecobank sur le marché ?

Il y a quatre ou cinq ans, cette floraison de nouveaux acteurs a bousculé le secteur. Ces banques se sont développées de manière rapide et agressive avec une course effrénée au capital pour pouvoir financer leurs acquisitions. Aujourd’hui, elles subissent le retournement du marché des matières premières. En attendant, elles ont apporté un renouveau de compétition et une « africanisation » des pratiques bancaires.

Notre réponse est d’être plus sophistiqué et d’offrir une meilleure qualité de services. Cette stratégie a porté ses fruits puisqu’on a regagné des parts de marché en Algérie, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Bénin et au Burkina Faso. On est donc reparti dans une dynamique positive.

Quel premier bilan faites-vous du Lab de Dakar lancé début 2016 ?

Grâce au téléphone mobile, qui va au cœur des territoires, la manière dont on consomme des produits bancaires en Afrique se révolutionne et trouve sa propre logique. Avec le Lab, on veut mesurer notre capacité à innover. On doit être capable de tenter de nouveaux usages et de s’adosser à un certain nombre de start-up innovantes pour les tester. Cela ne coûte pas très cher. La même chose à Paris nécessiterait six mois d’étude avec des consultants et coûterait 5 millions d’euros…

Le Lab a déjà révolutionné la manière dont nos équipes voient le secteur. Autour de lui, on a développé des solutions. Il y a trois ans, on a créé Manko, une banque à Mobylette qui se déplace dans un quartier de Dakar pour faire du crédit. Aujourd’hui, grâce au Lab, vous pouvez ouvrir un compte chez Manko, obtenir un crédit avec une tablette numérique sans que le client soit obligé de se déplacer dans une agence. Grâce aux outils mobiles, le client peut rembourser son échéance directement en débitant son compte de monnaie électronique. Une application mobile permet aussi de se préinscrire dans une file d’attente à partir de son compte Facebook. En Tunisie, dans une économie plus mûre et toujours grâce au Lab, on développe une solution qui permettra à un client, lorsqu’il passera devant une agence de voyages, de recevoir une offre de crédit à la consommation pour financer ses vacances.

Avec la banque mobile, l’Afrique va-t-elle sauter l’étape du chèque et de la carte bancaire ?

L’Afrique ne connaîtra quasiment pas le paiement par chèque et le support monétique va basculer de la carte au mobile, mais il y aura toujours des paiements en cash. On ne passe pas de 97 % de transactions en liquide, comme au Cameroun, à zéro du jour au lendemain.