Dans l’église évangélique d’Ismaïlia, la ville du nord-est de l’Egypte sur les rives du canal de Suez, les bénévoles s’activent. Depuis mercredi 22 février, ce petit lieu de culte accueille des dizaines de familles coptes venues d’Al-Arish, une ville du nord-est Sinaï où l’armée égyptienne affronte les militants de Wilayet Sinaa (« province du Sinaï »), un groupuscule affilié à l’Etat islamique depuis novembre 2014. La cible privilégiée reste l’armée, mais la communauté chrétienne du pays est depuis peu particulièrement prise pour cible. En un mois, sept coptes ont été tués par des groupes d’individus masqués, abattus à bout portant ou brûlés vifs.

Selon Nabil Shukrallah, qui gère les arrivées au sein de l’église, entre 110 et 115 familles y ont été accueillies depuis mercredi. De leur côté, les autorités n’ont pas encore rendu public le nombre de départ de coptes d’Al-Arish. Un nombre difficile à établir en raison du caractère d’urgence de cet exil précipité. Dimanche, le ministre des affaires juridiques et parlementaires, Omar Marwan, a toutefois annoncé que le gouvernement avait relogé quelque 118 familles coptes.

« Sachets de chips »

Toute de noire vêtue, longue robe, épais chandail et petit foulard, un pied étendu sur une chaise, Oum Waël, pleure la mort de son aîné aux côtés de jeunes fidèles de l’église qui lui tiennent la main et lui apporte de l’eau. Fin janvier, Waël Youssef, épicier de son état, est tué à l’intérieur de sa boutique située dans le centre d’Al-Arish. Il avait 35 ans. « C’était un garçon simple et pauvre, qu’est-ce qu’ils lui voulaient ? », se désole-t-elle. Veuve depuis treize ans, Oum Waël (« mère de Waël ») est arrivée dimanche à Ismaïlia avec sa sœur.

« Il était environ 20 h 30, raconte-elle, tremblante. Quatre hommes sont passés en voiture en exhibant leurs armes. Toute la rue s’est comme soudainement figée. Trois individus sont entrés brusquement à l’intérieur du magasin, un autre faisait le guet dans la rue. Ils ont commencé par saccager les étalages et ont tiré sur mon fils. Il a été touché en pleine poitrine et à l’abdomen. Puis, il est tombé. » La sœur d’Oum Waël se tient à ses côtés, elle aussi vêtue de la couleur du deuil et déterminée à parler alors que son propre mari et ses filles résident toujours à Al-Arish. « A leur attitude et à leur manière de s’exprimer, je pense que les assaillants étaient jeunes, précise-t-elle. Après avoir tiré sur Waël, ils ont volé des sachets de chips et sont repartis. »

A Ismaïlia, en Egypte, avec des chrétiens coptes en juillet 2016. | KHALED DESOUKI/AFP

Oum Waël et sa sœur ignorent l’identité des meurtriers. « Des membres de l’Etat islamique, des terroristes, des criminels, je ne sais pas comment les appeler, se demande cette dernière. Une chose est sûre, je refuse de croire qu’il s’agit de nos voisins musulmans qu’on côtoie tous les jours. » « Oh non, sûrement pas !, intervient Oum Waël. Nous avons toujours eu d’excellentes relations avec les musulmans d’Al-Arish. Tout le monde connaissait mon fils, s’approvisionnait chez lui, l’appréciaient, les musulmans plus encore que les chrétiens. »

« On sortait la boule au ventre »

La famille de Waël a donc fini par fuir la ville. « Nous sommes originaires d’Assiout [Haute-Egypte], explique la sœur d’Oum Waël. Nous vivions à Al-Arish qui nous offrait une vie plus confortable et sûre. Depuis la révolution [en 2011], nous subissons une insécurité croissante qui détruit nos vies. Ces dernières semaines, la situation a brusquement empiré. On sortait dans la rue la boule au ventre. On n’osait plus aller faire nos courses. Les enfants n’allaient plus à l’école. »

Dans une région du nord du Sinaï bouclée par l’armée, les deux femmes se sentaient totalement démunies. « Il n’y a aucune protection, s’impatiente cette dernière. Nous savons que l’armée et les forces de sécurité sont présentes, mais on a l’impression que tous ces hommes sont eux-mêmes dépassés. Que fait l’Etat ? » « Après le meurtre de mon fils, la police n’a réagi que le lendemain, précise Oum Waël. On ne pouvait pas rester dans un endroit aussi peu sûr. Je l’ai quitté avec seulement ce que je porte sur moi, mes habits noirs. »

A Ismaïlia, Oum Waël et sa sœur sont plongées dans l’incertitude et la crainte pour leurs proches restés à Al-Arish. « Ma belle-fille est restée auprès de sa famille, s’inquiète la mère. Elle attend un enfant. »